De nouvelles protections pour le droit à l'image de l'enfant

par Me Julien També
Lundi 14 octobre 2024

La question du droit à l'image de l'enfant, et notamment les problèmes juridiques relatifs à la pratique du « sharenting », est un sujet d'actualité depuis plusieurs années. Si des protections juridiques existent déjà grâce à l'application du RGPD, le législateur français s'est récemment emparé du sujet avec la loi du 19 février 2024, complétant celle de 2020 sur les enfants « influenceurs ».

La pratique du « sharenting »

Le « sharenting », anglicisme provenant de la contraction des mots « sharing » et « parenting », désigne la pratique des parents qui consiste à partager la vie de leurs enfants, en publiant des photographies, vidéos et/ou anecdotes sur les réseaux sociaux.

Cette pratique s'est largement répandue puisqu'il ressort d'études que 30 % des enfants ont une identité numérique avant même de naître, et que 90 % des parents d'enfants de moins de 8 ans les exposent sur internet, sans se rendre compte que cette empreinte se voit figée sur la toile, sans limite de temps.

Ainsi, la publication d'une photographie ou d'une anecdote sur son enfant peut paraître anodine sur le moment, mais peut s'avérer être une menace pour l'avenir de l'enfant, l'image ou l'information embarrassante ou humiliante pouvant lui nuire des années plus tard.

Quel est le cadre juridique ?

En droit, selon la Cour de cassation,  « toute personne a, sur son image et sur l'utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s'opposer à sa diffusion sans son autorisation ».

Chacun a donc le droit de s'opposer à l'utilisation ou à la diffusion de son image. L'utilisation ou la diffusion de l'image d'autrui suppose donc son consentement. Lorsque la personne qui apparaît sur l'image est mineure, il est nécessaire de recueillir l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale. Ainsi, ce sont normalement les parents qui vont autoriser la publication de photographies ou d'informations intimes concernant leur enfant, voire son inscription sur un réseau social.

Toute la difficulté du « sharenting » est qu'ici, ce sont les parents, qui sont censés assurer la protection de l'enfant, qui sont à la source de la violation du droit à l'image et du respect de la vie privée de l'enfant.

Même séparés, les parents continuent d'exercer conjointement l'autorité parentale sur leurs enfants mineurs. Ils se doivent de les protéger dans leur sécurité, leur santé et leur moralité.

Ce sont les juges aux affaires familiales qui tranchent ces contentieux : en effet, il est maintenant de jurisprudence majoritaire que diffuser des photographies de ses enfants, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un autre support, correspond à un acte non usuel, nécessitant l'accord des deux parents.

Le juge peut donc interdire à l'un des parents de diffuser des photographies des enfants sur tout support sans l'accord de l'autre parent.

Cette intervention du juge ne repose que sur les grands principes issus de l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

Pour rappel, depuis l'adoption du RGPD (texte réglementaire européen sur la protection des données et de la vie privée), la « majorité numérique » est fixée à 15 ans, âge à partir duquel le mineur n'a plus besoin d'une autorisation parentale pour ouvrir un compte à son nom, sur un réseau social.

L'article 17 du RGPD a codifié le « droit à l'effacement », qui permet la suppression, la modification ou la restriction des enregistrements antérieurs à la demande de la personne concernée. Cela permet aux enfants de contrôler leur empreinte numérique et leur identité en ligne.

De nouvelles protections

Le législateur français s'est récemment emparé de ces sujets et a adopté la loi du 19 février 2024, visant à garantir le respect du droit à l'image du mineur, du point de vue de l'autorité parentale.

Ainsi, la loi a créé un nouvel article dans les principes généraux de l'autorité parentale, l'article 372-1 du Code civil, qui dispose que : « Les parents protègent en commun le droit à l'image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l'article 9. Les parents associent l'enfant à l'exercice de son droit à l'image, selon son âge et son degré de maturité. »

Il s'agit de poser clairement l'obligation des parents de veiller au respect de la vie privée de leur enfant, y compris son droit à l'image.

La loi permet aussi au juge aux affaires familiales d'interdire à un parent de publier ou de diffuser toute image de son enfant sans l'accord de l'autre parent (article 373-2-6 du Code civil).

Cet apport a permis de légaliser la pratique judiciaire, qui n'était toutefois pas unanime, et de rappeler que la diffusion d'image de l'enfant n'est pas un acte usuel : ainsi, il pourra être demandé, sous astreinte, la suppression des commentaires, des photographies ou des films mettant en scène l'enfant, déjà publiés sur internet. Il pourra également être interdit, pour l'avenir, toutes publications, sur tous profils publics ou privés, sans l'autorisation de l'autre parent.

Si ce sont les parents qui s'entendent eux-mêmes pour publier des images de l'enfant, dont le contenu porterait gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale, le législateur a prévu une sanction contre les parents en créant un nouveau cas de délégation forcée de l'autorité parentale (article 377 du Code civil). Ainsi, le particulier, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant, ou un membre de la famille, peut saisir le juge aux fins de se faire déléguer l'exercice du droit à l'image de l'enfant.

Le statut légal des enfants « influenceurs »

Enfin, il faut rappeler aux parents mettant en ligne des vidéos de leur enfant pour créer un buzz, dont ils espèrent tirer un gros bénéfice, qu'ils doivent respecter le statut légal d'influenceur professionnel de leur enfant.

La loi du 19 octobre 2020 est venue consacrer une protection étendue des enfants « influenceurs » de moins de 16 ans, dont l'activité est considérée comme un réel travail : ils bénéficient des règles protectrices du Code du travail, tout comme les enfants mannequins, du spectacle et de la publicité.

Avant de faire tourner leurs enfants ou de diffuser leurs vidéos, les parents doivent demander un agrément auprès de l'administration, qui leur donne un ensemble d'informations pour les sensibiliser sur les droits de l'enfant, et notamment sur les conséquences sur sa vie privée.

Les parents ont également une obligation financière, car ils doivent placer une partie des revenus perçus par leur enfant à la Caisse des dépôts, et la consigner jusqu'à la majorité ou l'émancipation.

Une protection est également prévue si l'activité des enfants « influenceurs » ne constitue pas un travail au sens de la loi. Une déclaration doit être faite en cas d'influence récréative, au-delà de certains seuils de durée ou de nombre de vidéos ou de revenus tirés de leur diffusion. Les parents sont également sensibilisés et doivent consigner une part des revenus de leur enfant influenceur à la Caisse des dépôts et consignations.

En l'absence d'autorisation, d'agrément ou de déclaration, l'administration peut saisir le juge des référés.

Du côté des plateformes de partage de vidéos, la loi les incite à adopter des chartes notamment pour favoriser l'information des mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image sur leur vie privée, ainsi que sur les risques psychologiques et juridiques, en lien avec les associations de protection de l'enfance.

Enfin, le texte ouvre explicitement aux mineurs le droit à l'effacement ou à l'oubli : sur demande directe des enfants, les plateformes de vidéos doivent retirer leurs vidéos. Le consentement des parents n'est alors pas exigé.

On constate donc que le législateur tente de protéger les enfants de la diffusion de photos et de vidéos sur internet, en rappelant que cela ressort en premier lieu de la responsabilité parentale, et en tentant de contraindre les plateformes à être plus vigilantes.