Droit de l'environnement : un automne des libertés

par Me Nicolas Bernard-Duguet
Jeudi 24 octobre 2024

L'été 2024 aura été bref et l'automne vite là, comme en témoignent deux décisions rendues, en ce mois d'octobre, par deux des plus hautes juridictions françaises saisies de contentieux aux couleurs de saison : le Conseil constitutionnel et le juge des référés du Conseil d'État.

Le vendredi 18 octobre dernier, le Conseil constitutionnel et le juge des référés du Conseil d'État devaient se prononcer sur des affaires ayant trait à la pratique de la chasse. Néanmoins, l'objet et la nature de ces deux affaires relevaient, pour l'une, du droit privé, et, pour l'autre, du droit public, nous permettant d'apprécier tout à la fois l'actualité et l'interdisciplinarité de ce droit.

Ainsi, dans une première décision, le Conseil constitutionnel (décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024) devait contrôler la constitutionnalité de certains articles du Code de l'environnement (en particulier l'article L. 372-1) qui limitent « l'engrillagement » de propriétés privées situées dans des espaces naturels. S'agissant de la seconde décision, le juge des référés du Palais-Royal devait décider ou pas de la suspension d'un arrêté, par lequel le préfet de l'Ariège a autorisé le prélèvement de dix lagopèdes alpins.

Ces deux décisions présentent un point commun : le Conseil constitutionnel et le juge des référés du Conseil d'État ont eu à se prononcer sur une atteinte portée à une liberté fondamentale. Dans les deux cas, les juges ont fait primer la cause environnementale sur des intérêts défendus par les chasseurs. Une analyse succincte de ces deux décisions permettra d'en apprécier le contexte et la portée.

La constitutionnalité de la limite portée au droit de se clore : vers la fin de « l'engrillagement » ?

Pour saisir la portée de cette décision, il est important de formuler deux précisions liminaires : l'une historique, l'autre juridique. D'abord, le droit de chasse relevait, sous l'Ancien Régime, des privilèges accordés à la seule noblesse, et en tout premier lieu au roi (sur ce point voir l'article XIV de l'ordonnance « sur le fait des eaux et forêts », édictée au mois d'août 1669). C'est donc seulement lors de la Révolution française que ce privilège a été aboli. Sur le plan juridique, la démocratisation de la chasse s'est fondée sur le droit de propriété.

La décision rendue par le Conseil constitutionnel vendredi 18 octobre dernier s'inscrit dans le contexte qui vient d'être rappelé. En effet, depuis une trentaine d'années, des propriétaires prennent la décision de clore leur forêt, invoquant l'application de l'article 647 du Code civil. L'érection de ces clôtures a pour conséquence d'interdire à la faune sauvage de se déplacer librement. Cette décision, communément dénommée « engrillagement », a souvent une portée cynégétique, le propriétaire pouvant concéder à un locataire son droit de chasse à l'intérieur de l'espace clos.

Face à la multiplication de ces clôtures, le législateur a adopté, le 2 février 2023, la loi n° 2023-54, qui a modifié des articles du Code de l'environnement pour limiter le droit de clôture des propriétaires dans certains espaces naturels. En particulier, l'article L.372-1 du Code de l'environnement prévoit que les clôtures implantées dans certains secteurs des zones naturelles délimitées par le plan local d'urbanisme et dans les espaces naturels doivent permettre la libre circulation de la faune sauvage (entre 30 cm au-dessus du sol et 1 m 20 maximum).

Cette décision a été portée à la censure des Sages au motif, notamment, que la limitation du droit de se clore portait atteinte au droit de propriété. Le Conseil constitutionnel a rejeté ce motif, faisant ici application de sa jurisprudence en matière de droit de propriété (voir sur ce point la décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982). Dans la décision du 18 octobre dernier, les juges constitutionnels ont motivé leur décision en deux temps.

Dans un premier temps, après avoir rappelé que les dispositions de l'article L.372-1 n'entraînaient pas une privation du droit de propriété, ils ont jugé bien fondée la limitation prescrite, considérant que le législateur avait poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, mais encore deux objectifs d'intérêt général : faciliter l'intervention des pompiers en cas d'incendie et éviter une dégradation des paysages.

Dans un second temps, les juges ont procédé à un contrôle de proportionnalité de la mesure au regard de l'atteinte portée au droit de propriété. Sur ce point, les Sages ont successivement relevé : que la limitation au droit de se clore avait une portée limitée à certains secteurs géographiques (zones délimitées dans les PLU et espaces naturels), qu'il demeure possible, dans ces secteurs, de clore son terrain en respectant des hauteurs de clôtures, et que l'article 371-2 prévoyait des exceptions tenant à certains types de clôtures permettant ainsi de circonscrire la portée matérielle de la loi.

Réglementation cynégétique locale et office du juge du référé-liberté : consécration de l'article 1 de la charte de l'environnement

La police de la chasse relève de la compétence du gouvernement et elle est habituellement exercée par les préfets de département dans l'intérêt général. Le Code de l'environnement prévoit à ce titre la mise en place d'une architecture juridique encadrant les pratiques de la chasse à l'échelle départementale. Tel est notamment le cas des arrêtés prévus par l'article R.425-20 du Code de l'environnement, qui fixent le nombre maximal de prélèvements autorisés pour un chasseur, s'agissant d'une espèce particulière, sur un territoire et pour une période donnée. Ces arrêtés font l'objet, chaque année, d'un abondant contentieux devant les tribunaux administratifs, initié par des associations qui contestent leur légalité.

Dans les territoires de montagne, les arrêtés contestés concernent le plus souvent la chasse aux galliformes (lagopèdes alpins, tétras-lyres, perdrix bartavelles). Ces oiseaux sont concernés par l'application de la directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages, et sont inscrits aux annexes I et II de cette directive. Cette inscription n'a pas pour effet d'en interdire la chasse, mais elle oblige sa réglementation par les autorités nationales. La légalité des arrêtés de prélèvements dépend donc du respect de critères énumérés par l'article 7, annexe 2, de la directive, repris par la jurisprudence administrative. Ainsi, la chasse ne peut être autorisée par le préfet que dans la mesure où le nombre maximum d'oiseaux chassables permet de ne pas compromettre les efforts de conservation de l'espèce entrepris dans son aire de distribution.

L'ordonnance, rendue le 18 octobre dernier par le juge des référés du Conseil d'État (N° 498433), concerne la suspension d'un arrêté fixant le nombre de prélèvements de l'espèce lagopède pour le département de l'Ariège. Cette décision mérite une attention particulière quant à la procédure mise en œuvre par l'association requérante. En effet, la partie demanderesse avait saisi le tribunal administratif de Toulouse d'un « référé-liberté », procédure codifiée à l'article L.521-2 du Code de justice administrative, qui permet au juge d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale, à laquelle une personne morale de droit public a porté une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge doit alors rendre sa décision en 48 heures.

En première instance, le juge des référés avait suspendu l'arrêté de prélèvement, considérant qu'il portait atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Cette liberté est prescrite par l'article 1 de la charte de l'environnement, intégrée au préambule de la Constitution, dont le Conseil constitutionnel a donné pleine valeur juridique (décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008). Le Conseil d'État avait, quant à lui, dans une décision récente, reconnu ce principe comme une liberté fondamentale au sens de l'article L.521-2 du CJA (Conseil d'État, 20 septembre 2022 n° 451129), mais il s'agissait de la suspension d'un arrêté autorisant des travaux. La question de l'application de cette jurisprudence à la police de la chasse demeurait à trancher. C'est tout l'intérêt de l'ordonnance du 18 octobre dernier, qui confirme l'analyse du juge de première instance faisant application de cette liberté à la réglementation cynégétique.