Faire naître un permis tacite du fait d'une demande de pièces illégale

par Me Marion Millet
Jeudi 26 décembre 2024

L'effet d'une demande de pièces sur l'instruction des autorisations d'urbanisme était arrêté. Une modification de texte, et tout a changé. Point sur l'actualité de la demande de pièces complémentaires pouvant faire naître (ou pas) un permis tacite.

Un mécanisme a priori simple

L'obtention d'une autorisation d'urbanisme débute par le dépôt d'un dossier de demande, dont le contenu varie selon l'autorisation sollicitée (déclaration préalable, permis de construire, permis d'aménager...), et dont la liste des pièces est précisément fixée par le Code de l'urbanisme.

Le pétitionnaire peut avoir omis certaines de ces pièces, et le service instructeur doit alors l'inviter, dans le mois, à déposer des pièces complémentaires.

Tant que ces pièces ne sont pas déposées, la demande n'est pas instruite et le délai d'instruction est interrompu : il ne commencera à courir qu'à compter du dépôt des pièces réclamées. Finalement, si les pièces réclamées ne sont pas déposées dans un délai de trois mois, la demande sera implicitement rejetée, et il appartiendra au pétitionnaire de renouveler sa demande auprès de l'administration.

Une pratique plus complexe

À première lecture, le mécanisme apparaît plutôt simple. La simplicité ne demeure toutefois que tant que le dossier de demande omet une pièce requise par les dispositions du code, et que l'administration se borne à réclamer cette pièce, effectivement manquante.

Toutefois, en pratique, on a vu les services instructeurs solliciter, dans le cadre d'une demande de pièces complémentaires, non pas des pièces oubliées, mais d'autres pièces que celles prévues par le code, des précisions sur les pièces déjà produites, voire des corrections au projet.

La démarche se veut souvent pragmatique ; mieux vaut demander tout ce qui peut permettre de donner une suite favorable à la première demande, plutôt que de refuser l'autorisation pour de simples incompréhensions, ou quelques points perfectibles.

Mais que faire de ces demandes, qui n'ont pas tout à fait pour objet de réclamer, conformément à la lettre du code, des « pièces manquantes » ? Et comment les articuler, surtout, avec le délai d'instruction ?

La complexité ajoutée par la modification de l'article R. 423-41

Jusqu'à récemment, le juge administratif retenait l'illégalité des demandes de pièces qui ne portent pas sur des pièces exigées par le Code de l'urbanisme. Il jugeait toutefois que cette illégalité n'était pas de nature à empêcher l'interruption du délai d'instruction (CE, 9 décembre 2015, n° 390273), et la naissance d'une décision tacite de rejet en l'absence de production de la pièce, même indûment exigée (CE, 13 novembre 2019, n° 419067).

C'était, néanmoins, avant la modification de l'article R. 423-41 du Code de l'urbanisme par décret du 21 mai 2019. Cet article dispose en effet désormais qu'une demande ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction.

Et le Conseil d'État d'en tirer les conséquences dans l'arrêt « Commune de Saint-Herblain » du 9 décembre 2022 : une demande qui ne porte pas sur des pièces exigibles du code n'est pas de nature à modifier ou à interrompre le délai d'instruction (CE, 9 décembre 2022, n° 454521).

Ne réclamer que des pièces exigibles, au risque d'un permis tacite

Ce changement n'est pas sans intérêt. En effet, si la demande de pièce n'interrompt pas le délai d'instruction, elle ne fait pas davantage obstacle à la naissance d'un permis tacite, dès l'expiration de ce délai.

Dès lors, pensant à tort le délai d'instruction prorogé, la commune pourrait refuser la demande après la naissance d'un permis tacite, ce que le pétitionnaire éclairé ne manquerait pas de contester, au motif que ce refus vaut retrait de son permis, n'ayant pas été précédé d'une procédure contradictoire. Pensant qu'en suite de sa demande de pièces, son silence vaut rejet implicite, la commune pourrait également s'abstenir de toute décision et se voir finalement saisie d'une demande de certificat de permis tacite !

La commune doit donc s'assurer de ne réclamer que des pièces qui peuvent être exigées, ou à défaut, elle ne devra pas compter sur une prorogation du délai d'instruction, ou prétendre à un rejet tacite à l'issue d'un délai de trois mois. Il lui faudra décompter le délai d'instruction à compter du dépôt de la demande, et prendre soin de rejeter expressément la demande dans ce délai, si le projet ne lui paraît pas conforme.

Ce refus ne pourra toutefois être fondé sur la pièce indûment exigée, même si elle lui est donnée (CE, 13 novembre 2019, n° 419067). Mieux vaut, dès lors, être sûr de ne réclamer que ce qui est exigible, ou refuser rapidement au regard de ce qui a déjà été produit.

Des pièces exigibles, à produire en trois mois non renouvelables

En revanche, une fois que la commune a réclamé une pièce, et si sa demande porte bien sur une pièce exigible, il appartient au pétitionnaire d'y souscrire, et rapidement !

Dans un arrêt du 30 avril 2024, le Conseil d'État a jugé en effet que si, après avoir sollicité une pièce manquante, la commune estime que le dossier reste incomplet malgré les nouvelles pièces reçues dans le délai de trois mois, elle peut inviter à nouveau le pétitionnaire à compléter sa demande. Toutefois, cette seconde demande sera sans effet sur le cours du délai de trois mois ouvert à compter de la première demande de pièces et sur la naissance d'une décision tacite de rejet, si le pétitionnaire n'a pas régularisé son dossier au terme de ce délai (CE, 30 avril 2024, n° 461958).

Lorsque la demande est régulière, il faut donc produire ce qui est demandé, et dans un délai de trois mois non renouvelable, quelles que soient les nouvelles demandes de complément qui seraient reçues.

Quel sort pour les pièces insuffisantes, et non manquantes ?

Ces arrêts récents, s'ils règlent (partiellement) la question d'un dossier incomplet, ne résolvent pas le cas des demandes portant sur des pièces, bien produites, mais que la commune considère comme insuffisantes.

À la suite de l'arrêt « Commune de Saint-Herblain » de 2022, les juridictions du fond se sont néanmoins emparées du sujet. Pour autant, force est de constater qu'en l'état, les solutions divergent, ou restent mouvantes.

En effet, certaines juridictions retiennent que le délai n'est pas prorogé par une demande de précision d'une pièce insuffisamment renseignée, lorsque le service instructeur dispose par ailleurs d'informations suffisantes pour se prononcer sur la demande (CAA Lyon, 26 mars 2024, n° 22LY0186 ; TA Nancy, 10 décembre 2024, n° 2302614 ; TA Poitiers, 19 septembre 2024, n° 2202043).

À l'inverse, alors qu'elle avait pourtant initié cette jurisprudence (CAA Marseille, 9 décembre 2021,
n° 20MA02906), la cour de Marseille a adopté récemment une position différente. Le délai d'instruction est bien interrompu par une demande portant sur une pièce qui, bien que présente, ne comporte pas l'ensemble des informations requises par le code, ou dont le contenu est entaché d'insuffisances ou d'incohérences telles qu'elle ne peut être regardée comme ayant été produite par le pétitionnaire (CAA Marseille, 30 novembre 2023, n° 21MA04095 ; CAA Marseille, 12 décembre 2024, n° 23MA01224 ; repris par le TA de Strasbourg, 3 octobre 2024, n° 2201758 ; le TA d'Orléans, 24 octobre 2024, n° 2304957). L'on imagine le trouble au sein des services
instructeurs...

L'année 2025 offrira sans doute l'occasion pour le Conseil d'État de préciser lui-même, après les pièces manquantes, le sort du délai d'instruction face aux pièces insuffisantes. Il n'est pas sûr que cela suffise toutefois à désamorcer le casse-tête pour les communes, ou à fermer les portes ouvertes aux pétitionnaires bien assistés !