La perte des droits sur une marque devenue trompeuse
Une marque valablement déposée, qui remplit les conditions de protection, peut, en cours d'exploitation, devenir trompeuse, notamment suite à un changement de fabrication, de situation géographique ou de cession de marque et encourir la déchéance.
Référentiel légal
Certes, les cas de jurisprudence sont assez rares, mais la réglementation a prévu la déchéance d'une marque devenue trompeuse en droit français à l'article L. 714-6 b) du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d'une marque devenue de son fait : [...] b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».
Le règlement sur la marque de l'Union européenne possède un mécanisme identique à l'article 58, paragraphe 1, c) : « Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : c) si, par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services ».
Au jour de son dépôt, la marque n'était pas trompeuse à l'égard des produits ou de services visés dans la demande et elle a donc été valablement enregistrée.
Son exploitation n'était pas déceptive à l'origine, mais a évolué et les conditions d'exploitation ont changé.
Les conditions d'appréciation
Le titulaire de la marque doit être à l'origine de l'exploitation trompeuse
Les faits générateurs de la tromperie doivent être ceux du titulaire et se manifester par une intention d'induire en erreur, des manœuvres dolosives.
La tromperie doit être manifeste
Elle est appréciée in concreto en fonction d'un contexte de commercialisation. Les changements trompeurs peuvent porter sur des caractéristiques « intrinsèques » (la nature ou la qualité du produit) ou « extrinsèques » (l'origine ou la garantie).
À titre d'exemple, la Cour de cassation a reconnu le caractère trompeur d'une marque géographique (7 sept. 2022, n° 15-28.822, Galettes de Belle Isle) en se prêtant à une analyse objective de l'exploitation par le titulaire.
Dans cette affaire, la société Biscuiterie du Guer, spécialisée dans la biscuiterie bretonne, devenue Galette de Belle Isle, exploitait la marque éponyme déposée en 1995. En 2011, elle a assigné la société Kerfood au motif que les marques « Petits sablés de Belle Île » et « le Petit Bellilois » constituaient une contrefaçon de sa marque.
Les juges se sont prêtés à une analyse objective des conditions d'exploitation de la marque en relevant que :
- l'évocation de l'univers maritime (mouette, phare) avec des références explicites à la localité ;
- les emballages de ses galettes portaient sur leur couvercle des photographies des principaux lieux touristiques, sans qu'aucune mention du lieu de fabrication de Belle-Isle-en-Terre et des coordonnées du producteur n'apparaissent, sauf à retourner la boîte ;
- le titulaire avait pu décrire à des fins commerciales son produit, Les Galettes de Belle Isle, comme une galette au beurre fabriquée dans le respect de la tradition familiale à Belle-Île-en-Mer ;
- de nombreux consommateurs avaient indiqué dans des courriers avoir acheté des Galettes de Belle Isle commercialisées par la Biscuiterie du Guer, en pensant que les biscuits étaient fabriqués sur l'île ;
- ces caractéristiques faisant faussement référence à une localité étaient susceptibles de déterminer le choix de la clientèle, quand ces produits étaient fabriqués dans les Côtes-d'Armor, dans un village dans les terres à plus de 180 km de la localité du Morbihan.
Ainsi, la marque Les Galettes de Belle Isle était devenue, du fait de son titulaire, propre à induire en erreur sur la provenance géographique des produits commercialisés sous cette marque.
Dans une autre affaire, la cour d'appel de Paris (CA Paris, 22 oct. 2010, n° 09/11691) n'a pas reconnu la déchéance relative à la marque « Salakis » à défaut de preuve d'établir que le signe déposé était devenu propre à provoquer une tromperie effective du consommateur ou du moins, un risque suffisamment grave de tromperie.
En effet, les conditionnements, sous lesquels la société Des Caves commercialisait ses fromages, étaient évocateurs d'un paysage maritime avec des couleurs bleues et blanches, sans référence particulière cependant à la Grèce et les campagnes de communication étaient faites sur un mode humoristique.
Ces références répétées n'ont pu que rapprocher la perception de ce produit laitier de l'univers de la Grèce, pays d'origine de la féta.
Un autre litige fait l'objet de nombreux retentissements concernant les marques patronymiques « JC de Castelbajac » et « Jean-Charles de Castelbajac ». Lesdites marques ont été cédées à la suite d'un redressement judiciaire à une
société tierce.
Toutefois Monsieur de Castelbajac avait une activité au sein de ladite société de directeur artistique. La fin de ce contrat a conduit à une action en contrefaçon, Monsieur de Castelbajac demandant reconventionnellement la déchéance des marques verbales cédées au motif que les marques pouvaient laisser le public croire qu'il était l'auteur des créations sur lesquelles ces marques sont apposées.
La Cour de cassation (28 février 2024, n° 22-23.833) a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui est invitée à se prononcer sur la question suivante :
« Se pose ainsi la question de savoir si les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent au prononcé de la déchéance d'une marque portant sur le nom de famille d'un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que le créateur, dont le nom de famille constitue la marque, participe toujours à la création des produits de cette marque alors que tel n'est plus le cas ».
Cette décision de la CJCE est attendue en ce qu'elle permettra de lever la fragilité d'une marque patronymique cédée, car le consommateur peut légitimement penser que les produits vendus sous cette marque ont été créés par le créateur éponyme.
Il convient de relever qu'une marque doit être un instrument loyal d'information du consommateur et que les agissements trompeurs peuvent être en contradiction avec cet impératif de loyauté.
La déchéance
La sanction, en cas de marque devenue trompeuse, est sa déchéance, le titulaire perdant ses droits sur ladite marque. Elle doit être prononcée par un juge.
Le demandeur qui introduit une demande en déchéance en justice doit prouver que le terme exploité à titre de marque est devenu trompeur et que l'utilisation faite par le titulaire cause cet effet trompeur. La déchéance n'emporte pas la disparition rétroactive de la marque, elle est prononcée au jour de la demande en justice. Il est donc possible de sanctionner des actes de contrefaçon intervenus avant la déchéance et non encore prescrits.