Détention et cession d'une entreprise : fiscalité comparée franco-suisse

par Jean-François Pissettaz, Sandrine Magnenat
Mercredi 12 mars 2025

Dans un contexte transfrontalier franco-suisse, nombreux sont les entrepreneurs qui s'interrogent lorsqu'il s'agit de connaître les conséquences fiscales de la détention et de la transmission de leur société. Quelles sont les règles fiscales françaises et suisses en la matière ?

Imposition dans le pays de résidence

La convention fiscale franco-suisse de septembre 1966 prévoit une imposition dans le pays de résidence à la fois du gain de cession lors de la vente des titres de sociétés, mais également en matière d'impôt sur la fortune1 durant la durée de détention. Le choix du lieu de vie du dirigeant entraînera l'assujettissement à l'impôt de son outil de travail selon les règles fiscales de son pays de résidence. Mais quels sont les critères permettant de déterminer la résidence fiscale du contribuable ?

Que ce soit en France ou en Suisse, chaque droit interne a ses propres critères pour déterminer la résidence fiscale des personnes physiques. Cependant, en cas de conflit d'assujettissement, ce sont les critères alternatifs de la convention fiscale franco-suisse qui s'appliquent. Le premier critère déterminant est celui du centre des intérêts vitaux. D'après cette disposition, la résidence fiscale correspond au lieu dans lequel les relations personnelles du contribuable sont les plus étroites, c'est-à-dire son lieu de vie familial déterminé selon un ensemble d'éléments tenant à la vie personnelle et sociale.

Ce critère de résidence permet de déterminer la fiscalité applicable aux contribuables, mais qu'en est-il des règles fiscales en Suisse et en France applicables aux entrepreneurs tant durant leurs années d'entrepreneuriat qu'au moment de la vente de leur société ?

France et Suisse : des systèmes fiscaux très différents

Pour les résidents fiscaux de France, durant la détention des titres, l'outil de travail n'est pas assujetti à l'impôt sur le patrimoine. En effet, l'impôt sur la fortune en France ne taxe pas les valeurs mobilières, mais seulement le patrimoine immobilier, et l'immobilier affecté à l'outil de travail bénéficie d'une exonération.

En revanche, lors de la cession des titres d'une personne morale, le gain réalisé sur la vente des titres de la société est imposable. Il est soumis au prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flax tax ») au taux de 30 % (12, 8 % d'impôt sur le revenu et 17, 2 % de prélèvements sociaux). Il est également possible de choisir une imposition au barème progressif pour bénéficier d'abattement pour durée de détention. Des spécificités s'appliquent lorsque la cession porte sur une société établie en Suisse. Le taux de la flax tax est ramené de 30 % à 20, 3 % (exonération de la CSG et CRDS à 9, 7 %), si le cédant réside en France et qu'il ne relève pas du régime obligatoire d'assurance-maladie français. C'est le cas lorsqu'il est salarié frontalier rattaché au régime social suisse.

D'autre part, l'abattement pour durée de détention renforcé (85 % au-delà de huit ans), ainsi que l'abattement fixe de 500 000 euros pour départ à la retraite, ne pourront pas s'appliquer lors de la cession d'une société établie en Suisse. Pour cause, la société cédée doit être établie dans un pays ayant conclu avec la France une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale. Or, cette clause n'existe pas dans les dispositions signées entre la Suisse et la France.

Pour les résidents fiscaux de Suisse, le système fiscal diffère largement. Tout d'abord, la Suisse est un des rares pays en Europe à soumettre l'entrepreneur actionnaire à un impôt sur la fortune. Durant la période de détention des titres, l'impôt sur la fortune s'applique sur la valeur de la société déterminée selon la méthode fiscale. L'impôt sur la fortune dû chaque année varie selon le taux d'imposition du canton de domicile allant jusqu'à 0, 9 % de la valeur de l'entreprise pour le canton de Genève par exemple. Certains cantons ont introduit des dispositifs d'allègements de l'entrepreneur actionnaire, comme le canton de Vaud2, qui ont pour but de diminuer la valeur imposable des titres. Mais, il n'existe pas de dispositif permettant d'exonérer l'outil de travail de l'impôt sur la fortune.

En revanche, au moment de la cession de l'entreprise, le droit fiscal suisse n'impose pas le gain en capital réalisé à titre privé, sauf cas particuliers. La plus-value de cession des titres est donc, en principe, exonérée d'impôts sur le revenu. Une vérification minutieuse est préconisée pour éviter les cas de requalifications du gain en rendement imposable.

Expatriation : le dispositif de l'exit tax

Qu'ils soient motivés par des opportunités professionnelles ou des raisons familiales, les résidents fiscaux français peuvent envisager, au cours de leur vie professionnelle, un transfert de leur résidence en Suisse. Dans ce cas, une étude approfondie devra être menée notamment aux vues du dispositif de l'exit tax instauré en droit français pour limiter l'évasion fiscale.

Le mécanisme de l'Exit Tax, prévu à l'article 167 bis du Code général des impôts (CGI) trouve à s'appliquer lorsqu'un contribuable souhaite transférer son domicile fiscal hors de France. Sont assujettis les contribuables :

  • fiscalement domiciliés en France pendant au moins six ans sur les dix dernières années précédant le transfert - et détenant des titres représentant au moins 50 % des bénéfices d'une société ou une valeur globale supérieure à 800 000 euros.

Dans ce cas, le transfert du domicile est assimilé à une cession et entraîne la taxation immédiate des plus-values latentes sur les titres détenus. La plus-value doit être déterminée par rapport à la valeur réelle des titres au jour du transfert de résidence.

Toutefois, la taxation peut être suspendue en demandant l'application d'un sursis de paiement. Le sursis est, soit accordé automatiquement, soit sur demande en fournissant des garanties de paiement. Une jurisprudence récente3 a confirmé que, dans le cas d'un transfert de résidence en Suisse, le sursis de paiement n'était pas automatique. En cause, les articles 28 et 28 bis de la convention franco-suisse qui ne prévoient pas de mécanisme de recouvrement direct des créances fiscales entre les deux pays. Il est donc nécessaire de procéder à une demande expresse de sursis de paiement au moins 90 jours avant le transfert de domicile fiscal4. Cette demande devra être accompagnée d'une déclaration du montant des plus-values latentes, de la désignation d'un représentant fiscal et d'une proposition de garantie de l'impôt à hauteur de 12, 8 % du montant total des plus-values latentes avant abattement. Le sursis de paiement prendra fin et l'impôt sera réellement dû, notamment si une vente à titre onéreux de tout ou partie des titres intervient après le transfert de résidence.

Pour les transferts intervenus depuis le 1er janvier 2019, un dégrèvement d'office peut être obtenu à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de départ ou de cinq ans si la valeur globale des titres était supérieure à 2 570 000 euros.

Que ce soit pour des raisons professionnelles ou personnelles, un entrepreneur transfrontalier peut envisager de transférer son domicile à l'étranger. Il conviendra alors de s'interroger sur les incidences fiscales de cette expatriation en tenant compte de la fiscalité durant ces années d'entrepreneuriat et au moment de la transmission. Une approche réfléchie et structurée permettra une planification sereine permettant d'éviter les écueils d'un environnement fiscal impliquant les législations françaises et suisses. D'autres questions pourront également se poser comme celles des successions ou donations.

1 Article 15 § 5 et article 24 § 7 de la convention franco-suisse en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune
2 Règlement sur l'estimation des titres non cotés et des titres non régulièrement cotés en Bourse ou hors bourse pour l'impôt sur la fortune (RETIF)
3 TA Montreuil 19-10-2023 no 2115054
4 Souscription d'une déclaration 2074-ETD auprès du service des impôts des particuliers dans les 90 jours précédant le départ en application de l'article 41 tervicies A, annexe III du CGI