Gare aux pièges lors de la vente d'un bien immobilier démembré !

par Marion Girard-Cabouat
Mardi 25 mars 2025

L'article 774 bis du Code général des impôts, introduit par la loi du 29 décembre 2023, impose une vigilance accrue lors de la vente d'un bien immobilier ayant fait l'objet d'une donation en démembrement de propriété. Ce nouveau dispositif anti-abus encadre strictement le choix d'un quasi-usufruit sur le prix de vente.

Prenons l'exemple de Monsieur M., qui a donné la nue-propriété de sa résidence principale à ses deux enfants il y a quelques années. Aujourd'hui, il envisage de vendre la maison, avec l'accord de ses enfants (évidemment !). La question se pose : comment répartir le prix de vente entre lui et ses enfants ? Peut-on laisser la totalité du prix au père, ou l'attribuer aux enfants, en tout ou partie ? Ce dilemme est fréquent dans les opérations de démembrement de propriété et il nécessite une réflexion approfondie.

La convention relative au sort du prix de vente d'un bien immobilier démembré : un outil clé pour définir le projet

Avant d'entamer toute procédure de vente, il est essentiel que les parties définissent clairement leurs intentions dans un acte formel. Cette convention devra préciser plusieurs éléments cruciaux afin d'éviter toute ambiguïté et d'assurer la sécurité juridique de la transaction : la désignation du bien immobilier concerné ; l'âge de l'usufruitier (ou des usufruitiers) ; la rentabilité estimée du bien (qu'il soit loué ou non) ; le projet de vente, c'est-à-dire à quel prix et pour quelles raisons, pour l'usufruitier comme pour le nu-propriétaire.

Lorsqu'un bien immobilier est détenu, en usufruit par un parent et en nue-propriété par des enfants, la règle générale veut que les parties se partagent le produit de la vente, proportionnellement à la valeur respective de l'usufruit et de la nue-propriété. Toutefois, il est possible d'y déroger si les parties décident, d'un commun accord, de reporter l'usufruit sur le prix de vente, ce qui permet à l'usufruitier de conserver l'intégralité du prix de vente. Ainsi, il est fortement conseillé aux parties de régulariser une convention qui aura pour objet de définir le sort du produit de la future vente et de matérialiser le choix sur lequel l'usufruitier et le nu-propriétaire se sont accordés.

Cet acte, établi par le notaire, sera l'occasion de rappeler aux parties que dans le cadre de la future vente, trois options s'offrent à elles. Elles peuvent soit se répartir le prix de vente selon leurs droits respectifs sur le bien vendu ; soit reporter le démembrement sur le prix de vente et le réinvestir ; soit maintenir le prix de vente entre les mains de l'usufruitier au titre d'une convention de quasi-usufruit. Afin de choisir la meilleure option, le notaire leur exposera, précisément, les trois options qui s'offrent à elles.

Premièrement, s'agissant de la répartition du prix de vente, elle peut s'établir conformément au barème de l'article 669 du Code général des impôts (voir tableau ci-contre). Ce barème n'est pas impératif. Il est aussi possible, dans le cadre d'une vente, d'appliquer l'usufruit dit « économique ». L'évaluation économique de l'usufruit prend en compte l'âge, l'espérance de vie, le sexe de l'usufruitier, ainsi que la nature et la rentabilité du bien. Ce mode d'évaluation reflète davantage la véritable valeur des droits démembrés.

Deuxièmement, si les parties souhaitent réinvestir le prix de vente dans un bien immobilier, elles peuvent reporter le démembrement sur ce nouveau bien. L'investissement pourra se faire sur la base du barème fiscal ou de l'évaluation économique. Si l'investissement n'est pas immédiat, les sommes perçues doivent être placées sur un compte démembré, ouvert aux noms de l'usufruitier et du nu-propriétaire, jusqu'à ce que l'investissement soit effectué.

Dans l'hypothèse où les parties ne souhaitent ni réinvestir les sommes provenant de la vente, ni répartir les fonds selon leurs droits respectifs, et si le nu-propriétaire ne souhaite pas disposer immédiatement des fonds, il est possible de recourir à une troisième option : la constitution d'un quasi-usufruit. De même, le quasi-usufruit peut être constitué en tenant compte du barème fiscal ou économique, et cette décision aura des conséquences en matière de plus-value immobilière et de net disponible.

Par suite de l'ensemble des explications délivrées par le notaire et en connaissance des conséquences tant civiles que fiscales des options possibles, les parties définiront leur choix au regard de leurs motivations ci-dessus exprimées.

La convention de quasi-usufruit : un outil clé pour éviter les pièges

Dans le cas où les parties choisiraient le quasi-usufruit, l'ensemble du produit de la vente reviendra à l'usufruitier. Celui-ci disposera librement de cet argent, mais sera tenu de le rendre à la fin de l'usufruit (c'est-à-dire à son décès). Cette somme sera donc inscrite comme une dette dans la succession de l'usufruitier.

Dans le cadre de la vente d'un bien immobilier démembré, et si le choix est porté dans la première convention sur un quasi-usufruit, alors la convention de quasi-usufruit joue un rôle déterminant. Il s'agit d'un acte juridique permettant à l'usufruitier de conserver l'usage de la somme issue de la vente tout en respectant les exigences légales, notamment fiscales, qui encadrent ce type de démembrement. Elle permet d'éviter des conséquences imprévues ou des conflits concernant la répartition du prix de vente.

Cette convention, établie par le notaire, doit notamment préciser : le montant du prix de vente et la répartition exacte entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, en fonction de la valeur respective de leurs droits ; les modalités d'utilisation du prix de vente par l'usufruitier (s'il est libre de l'utiliser, il peut également être contraint à une certaine gestion, selon la nature de l'accord conclu) ; les garanties apportées à l'ensemble des parties, notamment pour éviter que l'usufruitier ne dilapide la somme sans égard pour la nue-propriété.

Néanmoins, cette convention de quasi-usufruit est surtout indispensable sur le plan fiscal. Elle permet de conserver l'avantage fiscal de la donation, sans risquer une remise en cause par l'administration fiscale le jour du règlement de la succession.

C'est ici que réside l'actualité du dispositif anti-abus : la réglementation introduite par l'article 774 bis du Code général des impôts impose que le quasi-usufruit ne soit pas utilisé à des fins uniquement fiscales. Toute opération de vente réalisée dans un but fiscal abusif pourrait entraîner la requalification de l'opération. En d'autres termes, l'usufruitier ne peut disposer du prix de vente qu'en respectant certaines règles, et toute action contraire pourrait remettre en cause l'équilibre des droits des parties et entraîner des conséquences fiscales négatives.

Ainsi, il est primordial que la convention de quasi-usufruit détaille clairement l'absence de but principalement fiscal.

Gare aux pièges lors de la vente d'un bien immobilier démembré !

Lors de la vente d'un bien immobilier démembré, il est crucial de bien comprendre les implications juridiques du démembrement de propriété et de la convention de quasi-usufruit. Sans une gestion précise du produit de la vente, des conflits peuvent surgir, mettant en péril la bonne exécution de la transaction et l'intention des parties. Il est donc indispensable de recourir à un notaire pour sécuriser cette démarche et éviter les pièges légaux. La régularisation de conventions adéquates est une étape essentielle pour garantir un partage équitable et respectueux des droits de chacun.