Les enjeux de la TVA pour les collectivités locales
Les mutualisations ainsi que le choix des modes de gestion de leurs activités par les collectivités locales ont des incidences en matière de TVA qu'il est important pour elles d'identifier et d'anticiper afin d'optimiser et de sécuriser leur situation fiscale.
Au même titre que l'optimisation des bases fiscales, la problématique de la récupération de la TVA est devenue un enjeu budgétaire non négligeable dans un contexte de baisse des dotations et une conjoncture économique et sociale difficile en raison des crises successives (covid, énergie...). En effet, les collectivités locales sont susceptibles d'être assujetties à la TVA pour certaines de leurs activités.
Un certain nombre d'entre elles sont d'ailleurs assujetties de plein droit à la TVA : c'est le cas par exemple du service public de l'eau, de la distribution de gaz, d'électricité ou d'énergie thermique, de la livraison de biens neufs fabriqués en vue de la vente, des transports de biens et de personnes.
D'autres sont imposables sur option, comme le service public d'assainissement ou la collecte et le traitement des ordures ménagères si le service est financé par redevance (art. 260 A du CGI).
Le principe de non-assujettissement à la TVA des activités à caractère administratif, social, éducatif, culturel ou sportif
Par exception, les collectivités ne sont pas assujetties à la TVA lorsqu'elles agissent en tant qu'autorité publique et que leur non-assujettissement à la TVA ne conduit pas à des distorsions de concurrence significatives (art. 256 B CGI). Les activités constituant un service public administratif, social, éducatif, culturel ou sportif, pour lequel la collectivité est réputée agir en tant qu'autorité publique, sont ainsi généralement hors du champ de la TVA (CE, 28 mai 2021, commune de Sarlat-la-Canéda n° 441739 et commune de Castelnaudary n° 442378 ; CE, 3e et 8e ch., 9 décembre 2021, n° 439617, commune de Nyons), à condition qu'elles ne créent pas des distorsions de concurrence significatives.
Concernant cette seconde condition, selon le Conseil d'État, ces distorsions doivent s'apprécier à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause (CE 8e-3e ch. 28-5-2021 n° 441 739 et 442 378).
La circonstance que le non-assujettissement de l'activité à la TVA constitue un désavantage pour la personne morale de droit public elle-même est sans incidence sur cette analyse.
L'assujettissement des activités commerciales et économiques
Les activités mettant à disposition du public des services industriels et commerciaux qui, par leur nature, leur étendue, leur clientèle et les moyens mis en œuvre, sont en concurrence directe avec des entreprises commerciales, se situent dans le champ d'application de la TVA.
Lorsqu'une collectivité territoriale confie l'exploitation d'un service à un tiers, la mise à disposition à titre onéreux des investissements que la collectivité a réalisés est constitutive d'une activité économique imposable. Par conséquent, la redevance d'affermage qui lui est versée par son délégataire en contrepartie de cette mise à disposition est soumise à la TVA.
Lorsqu'elle entre dans le champ d'application de la TVA, pour être imposable à cette taxe, encore faut-il que l'activité considérée soit constitutive d'une activité économique.
À cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne a consacré le caractère économique d'une activité financée à 90 % par des subventions d'équilibre (CJUE, n° C-126/14, 22 octobre 2015).
En France, l'administration fiscale considère qu'un service public est assujetti dès lors que les recettes réclamées aux usagers (soumises à la TVA) représentent au moins 10 % des dépenses du service (question n° 10064 de M. Martial Saddier JO le : 13/11/2018 page : 10 213).
Le choix du mode de gestion (marché public, délégation de service public, régie, SPL...), la nature des contreparties financières versées par les collectivités publiques ou encore la propriété des recettes tarifaires et le ratio recettes/dépenses conditionnent le régime de TVA applicable aux activités des collectivités locales.
Les conséquences de l'assujettissement à la TVA
La soumission à la TVA d'une activité emporte la possibilité pour les collectivités publiques de déduire la TVA qui grève les biens et/ou les services utilisés pour la réalisation de cette activité (art. 271 à 273 septies C du CGI).
Lorsqu'elle n'est pas déductible par la voie fiscale, la TVA est cependant susceptible d'être compensée par des attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Cette dotation, versée par l'État aux collectivités territoriales et à leurs groupements, destinée à assurer une compensation de la charge de TVA que ces derniers supportent, ne concerne que certaines de leurs dépenses réelles d'investissement.
La situation des activités des collectivités publiques vis-à-vis de la TVA est également susceptible d'avoir des incidences en matière de taxe sur les salaires. C'est ainsi que par des décisions de la cour d'appel administrative de Nantes (CAA Nantes 12 février 2022 N°19NT04979-19NT04996-20NT01589-20NT02202) et du Conseil d'État (CE, 07 avril 2023 n°463 222), les Ehpad publics dotés de l'autonomie financière et de la personnalité morale se sont vu refuser la possibilité de se placer dans le champ d'application de la TVA et se sont retrouvés assujettis à la taxe sur les salaires dont les rappels mettent certains de ces établissements en difficulté financière à l'heure actuelle.
Points de vigilance en cas de mutualisation
Par ailleurs, de façon de plus en plus courante, car encouragée par la loi et rendue nécessaire par les contraintes budgétaires, les collectivités ont recours à différentes formes de mutualisation, allant de la prestation de services à la mise en commun de moyens et à la création de groupements.
Une attention particulière doit dans ce contexte être portée à la rédaction des conventions et à la gestion des coûts, notamment pour éviter les complications liées à la TVA.
En effet, par dérogation au principe selon lequel la TVA est applicable aux opérations effectuées même à « prix coûtant » ou le cas échéant à perte, l'article 261 B du CGI exonère de la taxe, les services rendus à leurs adhérents par les groupements constitués par des personnes physiques ou morales exerçant une activité exonérée de la TVA ou pour laquelle elles n'ont pas la qualité d'assujetti, à la condition qu'ils concourent directement et exclusivement à la réalisation de ces opérations exonérées ou exclues du champ d'application de la taxe et que les sommes réclamées aux adhérents correspondent exactement à la part leur incombant dans les dépenses communes.
Soulignons que l'exonération prévue à l'article 261 B du CGI ne vise que les prestations de services à l'exclusion, par conséquent, des livraisons de biens qui doivent être en tout état de cause soumises à la TVA.
Pour être exonérés, les services doivent être « verticaux descendants », du groupement vers les membres, mais ni ascendants - d'un membre vers le groupement -, ni horizontaux - d'un membre à un autre. Il convient donc d'être vigilant et le cas échéant de constituer plusieurs groupements en cas services croisés qui sont très fréquents en pratique.
Les groupements d'intérêt publics formellement constitués sont en outre susceptibles de bénéficier des dispositions de l'article 256 B du Code général des impôts et partant de ne pas être assujettis à la TVA pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs que lorsque leur non-assujettissement est susceptible de provoquer des distorsions dans les conditions de la concurrence.
Les collectivités publiques sont donc contraintes de mener une analyse au cas de chacun de leurs projets et de soigner le contexte conventionnel de mise en œuvre de leurs activités afin d'anticiper les incidences de leurs choix opérationnels en matière de TVA et d'éviter des conséquences financières non maîtrisées à ce titre.