La coparentalité à l'ère numérique : enjeux et défis des réseaux sociaux

par Me Mélanie Grimonet
Mercredi 28 mai 2025

La coparentalité est un défi en soi, mais l'émergence des réseaux sociaux complique encore davantage les droits et obligations des parents. La loi du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants a modifié plusieurs dispositions relatives à l'autorité parentale dans le Code civil. L'objectif législatif est louable : mieux protéger l'image des enfants souvent surexposés sur la toile dès leur plus jeune âge.

Selon une enquête britannique, un enfant apparaît en moyenne sur 1 300 photographies publiées en ligne avant qu'il n'ait atteint l'âge de 13 ans sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches. Dès le berceau, l'enfant n'a pas la maîtrise de son image et de sa vie privée. Ses parents doivent la protéger. Mais comment ? Et si les parents sont défaillants, qui peut prendre le relais ?

La finalité de l'autorité parentale : l'intérêt de l'enfant

L'autorité parentale est définie par l'article 371-1 alinéa 1er du Code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». L'alinéa 2 ajoute qu'elle appartient aux parents jusqu'à la majorité, ou à l'émancipation, de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa moralité et désormais dans « sa vie privée », avec pour finalité d'« assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

Le principe de l'exercice en commun de l'autorité parentale posé depuis 2002 veut que les parents prennent ensemble, d'un commun accord, les décisions relatives à leurs enfants quel que soit le domaine concerné. Les parents sont égaux dans cette prise de décision, même s'ils sont séparés.

De nouveaux défis liés à l'usage des réseaux sociaux

L'un des principaux risques liés à l'utilisation des réseaux sociaux est l'exposition de l'enfant. On évoque régulièrement la nécessité d'encadrer l'usage des écrans et des réseaux sociaux par les enfants, mais beaucoup moins l'éducation des parents continuellement connectés, qui n'hésitent pas à partager des images d'eux ou de leur famille sur les réseaux, mais négligent les conséquences sur la vie privée de l'enfant de ce sharenting.

Dans une société de l'information et de l'instantanéité, les tirages photos envoyés à la famille sont devenus obsolètes. Une photo, un commentaire, posté naïvement tels que « première sortie au ski », « Bienvenue en CP » sont autant d'informations personnelles sur l'enfant, dont la diffusion soulève des questions légales sur la protection de son image et sa vie privée. Une telle publication répond-elle à l'objectif de l'exercice de l'autorité parentale, qui est l'intérêt de l'enfant ? On peut en douter.

Face à l'image et la vie privée de l'enfant en danger

Au-delà du partage initialement consenti par les parents à des proches, les données circulent de manière exponentielle et d'autant plus vite qu'une personne est identifiée avec la communication desdites publications aux membres de son réseau. L'information devient non maîtrisable, encore plus en cas de « repost ».

La protection de l'image de l'enfant par le contrôle parental...

Symboliquement, la loi de 2024 intègre désormais le droit à l'image de manière explicite dans le champ de la coparentalité. Les deux parents sont égaux et doivent protéger de concert le droit à l'image de leurs enfants dans le respect du droit à la vie privée, mentionné à l'article 9 du Code civil.

La précision n'était peut-être pas juridiquement nécessaire puisque le droit à l'image n'est qu'une composante des droits de la personnalité. Des textes et jurisprudences permettaient déjà de faire cesser des publications unilatérales d'un parent, sans le consentement de l'autre.

On citera par exemple, la cour d'appel de Versailles qui a de longue date pu considérer que « la publication de photographies de l'enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel, mais nécessite l'accord des deux parents ». La mère d'un enfant âgé de 4 ans, qui avait procédé à des publications sans le consentement de l'autre, s'était vue ordonner de cesser de publier sur ce site tout document concernant l'enfant sans autorisation du père et de supprimer tous les commentaires et photographies de l'enfant déjà publiés, sous astreinte de 250 euros par infraction constatée.

La cour d'appel de Paris avait également pu désapprouver un parent pour avoir partagé des informations ou des images de leur enfant, sans l'accord de l'autre parent.

Entérinant ainsi la jurisprudence existante, l'article 373-2-6 du Code civil prévoit désormais que le juge peut « en cas de désaccord entre les parents sur l'exercice du droit à l'image de l'enfant, interdire à l'un des parents de diffuser tout contenu relatif à l'enfant, sans l'autorisation de l'autre parent. » Il peut également ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de la décision.

... ou par des tiers, juge et autorités indépendantes

La coparentalité devrait être un garde-fou, mais si les deux parents sont d'accord, qu'aucun n'est vigilant ou ne réagit aux atteintes portées à l'image et/ou la vie privée de l'enfant, la seule issue pourrait être une délégation partielle de l'exercice du droit à l'image de l'enfant.

L'article 377 du Code civil permet désormais la saisine du juge aux fins délégations de l'exercice du droit à l'image de l'enfant « lorsque la diffusion de l'image de l'enfant par ses parents porte gravement atteinte à la dignité ou à l'intégrité morale de celui-ci ».

On pense ici aux enfants faire-valoir social voire commercial pour les parents. Au-delà des publications naïves évoquées ci-dessus, on peut s'inquiéter que des enfants deviennent influenceurs par ricochet de certains comptes « publics » sur Instagram, Tiktok..., fondant l'essentiel de leur économie sur la mise en avant de leurs enfants et ce quel que soit leur âge, sans la moindre réflexion structurée quant aux conséquences futures pour ces derniers au plan psychologique, scolaire ou professionnel.

Le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés pourrait même prendre l'initiative d'une procédure d'urgence en cas de non-respect du droit à l'oubli exprimé par le mineur.

Les limites de la loi

Symboliquement novatrice, la portée de cette loi est finalement plus modérée en pratique. On peut même regretter une certaine frilosité du législateur qui aurait pu aller beaucoup plus loin en interdisant tout simplement d'utiliser l'image de l'enfant âgé de moins de 13 ans comme proposé en doctrine.

On note aussi des incohérences entre cette loi qui ne permet pas au mineur de décider seul de la diffusion de son image, alors que la majorité numérique est fixée à 15 ans et qu'à cet âge, il peut s'inscrire seul sur un réseau social avec tous les risques liés à ses propres publications.

Le cas des enfants influenceurs

Cette loi s'intègre dans un dispositif plus global tendant à protéger largement les mineurs exposés voire exploités sur les plateformes de partages, y compris par leurs parents.

Depuis la loi Studer du 19 octobre 2020, les enfants influenceurs sont davantage protégés. Le législateur a souhaité répondre aux différentes situations rencontrées par ces mineurs, dont l'activité parfois peut être encadrée par le Code du travail à l'instar des enfants du spectacle, avec un régime d'autorisation administrative préalable ou encore un régime de déclaration par les représentants légaux auprès du préfet lorsque l'enfant n'est pas influenceur « professionnel ».

La volonté du législateur d'enrayer les dérives est incontestable. La vigilance et la modération des parents demeurent la meilleure protection. Les habitudes changent : les partages par messagerie instantanée ou dissimulant les traits de l'enfant se développent.

1 - Article 372 - 1 du Code civil.
2 - CA Versailles, 25 juin 2015, n° 13/08 349.
3 - CA Paris, 9 février 2017, n° 15/13 956.
4 - Article 21 IV de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative
à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.