Urbanisme : conflit entre l'esthétique et la performance environnementale
Jusqu'à quel point les règles d'urbanisme régissant l'aspect extérieur des constructions doivent-elles céder le pas aux nouvelles exigences de l'éco-construction ? Éléments de réponse avec une récente jurisprudence du Conseil d'État.
La question est d'autant plus vive que la transition écologique impose des choix parfois incompatibles avec les canons esthétiques traditionnels ou les prescriptions architecturales locales. Le Conseil d'État vient d'apporter un éclairage précieux à ce sujet dans une décision du 4 octobre 2023 (n° 467962), en précisant les limites de l'article L.111-16 du Code de l'urbanisme.
Le principe légal
Cet article, dont l'origine remonte à la loi Grenelle 2, prévoit que nonobstant les règles relatives à l'aspect extérieur des constructions des plans locaux d'aménagement de zone et des règles des lotissements, le permis de construire ne peut s'opposer à l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, à l'installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d'énergie renouvelable, y compris lorsque ces dispositifs sont installés sur les ombrières des aires de stationnement.
Néanmoins, cet article prévoit aussi expressément que le permis de construire puisse comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant.
L'article 111-17 du même code prévoit effectivement quant à lui, une ribambelle d'exceptions relatives à des secteurs ou immeubles protégés (secteur sauvegardé, périmètre de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques, site inscrit ou classé, après avis de l'architecte des Bâtiments de France...), au sein desquels l'article L111-16 ne s'applique pas.
L'article R111-23 du Code de l'urbanisme fixe par ailleurs la liste des dispositifs, matériaux et procédés concernés par l'inopposabilité de la règle d'urbanisme :
« Pour l'application de l'article L111-16, les dispositifs, matériaux ou procédés sont :
1° Les bois, végétaux et matériaux biosourcés utilisés en façade ou en toiture ;
2° Les systèmes de production d'énergie à partir de sources renouvelables, lorsqu'ils correspondent aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie d'immeuble concernée. Un arrêté du ministre chargé de l'Urbanisme précise les critères d'appréciation des besoins de consommation précités ;
3° Les équipements de récupération des eaux de pluie, lorsqu'ils correspondent aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie d'immeuble concernée ;
4° Les pompes à chaleur ;
5° Les brise-soleils. »
La jurisprudence
Au cas d'espèce, les requérants propriétaires d'une maison d'habitation et souhaitant installer des panneaux solaires thermiques sur leur toit avaient déposé une déclaration préalable de travaux à laquelle le maire ne s'est pas opposé, en assortissant toutefois sa décision d'une prescription tendant, dans un objectif de bonne intégration architecturale, à ce que les panneaux s'inscrivent dans la pente du toit de la maison existante « conformément au règlement du PLU de la commune ».
Le projet présenté prévoyait de dresser les panneaux solaires sur le pan avant de la toiture avec une inclinaison de l'ordre de 50 degrés. Si cette pente formait certes une saillie bien visible, les propriétaires soutenaient que la prescription était impossible à réaliser pour des motifs techniques, les panneaux ayant une inclinaison différente de celle des pentes de la toiture existante afin de préserver leur efficacité, et ils proposaient d'atténuer la saillie en équipant les panneaux de « joues » latérales en tuile.
Dans son arrêt, le Conseil d'État a établi un principe qui exclut du champ de l'inopposabilité les dispositions de l'article L111-16 du Code de l'urbanisme. Cet article prévoit lui-même la possibilité d'imposer des prescriptions visant à garantir une intégration architecturale adéquate du projet dans le contexte bâti existant et environnant.
Cependant, il n'est possible d'assortir la délivrance d'un permis de construire de prescriptions spéciales que si ces dernières, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettent d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer.
Ainsi, les prescriptions ne peuvent porter que sur des « points précis et limités » et ne « nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet » (CE, 5 mai 1972, n° 78627).
Par suite, l'article d'un PLU qui n'interdit pas la pose de panneaux solaires sur les toitures mais exige que leur insertion soit cohérente avec l'architecture de la construction sur laquelle ils sont installés n'est pas inopposable à une demande d'installation de panneaux solaires thermiques.
Le Conseil d'État, saisi de la portée des dispositions de l'article L111-16 du Code de l'urbanisme, considère que la performance environnementale n'efface pas les exigences esthétiques des PLU. Cela signifie, pour votre projet d'éco-construction écologique, que bien qu'il réponde à l'article L111-16 du Code de l'urbanisme, cela n'empêchera pas de vous contraindre à respecter les règles d'urbanisme régissant l'aspect extérieur de la construction.
Enjeux pour les porteurs de projets
Cette décision éclaire les maîtres d'ouvrage, les collectivités et les porteurs de projets environnementaux sur l'interprétation fine du droit : il ne s'agit pas d'opposer brutalement écologie et urbanisme, mais de rechercher un équilibre proportionné.
Les services instructeurs peuvent donc encadrer les projets d'éco-construction par des exigences esthétiques, mais sans excès.
À l'inverse, les porteurs de projets ont intérêt à documenter l'impact technique et économique des modifications exigées, pour démontrer, le cas échéant, qu'une prescription rendrait le dispositif inopérant.
Une transition urbaine sous conditions
Dans un contexte de changement climatique et d'accélération des politiques de transition énergétique, cette jurisprudence rappelle que l'innovation technique ne peut s'émanciper totalement des cadres réglementaires territoriaux.
Le droit de l'urbanisme, même s'il tend à s'assouplir, n'est pas encore totalement aligné avec les enjeux de décarbonation du bâti. D'où l'importance d'une réforme à venir ? Certains la réclament, en vue de simplifier les règles pour les constructions vertueuses, à l'image de ce qui se fait dans d'autres pays européens.
En attendant, les porteurs de projets devront encore composer avec une double exigence : être performants et intégrés.