Droit de préemption commercial : retour sur la réalité d'un projet répondant à un besoin d'intérêt général
Par une ordonnance du 15 décembre 2023 (CE, 15 déc. 2023, n° 470167, Sté NM Market), le juge des référés du Conseil d'État a apporté une précision inédite en jurisprudence au sujet des conditions d'exercice du droit de préemption commercial. L'occasion de revenir, vingt ans après sa création, sur cet outil juridique œuvrant pour le maintien de la diversité du tissu commercial.
Un droit de priorité pour plus de proximité
Nouvel instrument de la politique d'aménagement commercial, le droit de préemption commercial a été institué par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en vue notamment de maintenir ou de réintroduire la diversité de l'activité commerciale de proximité.
L'objectif est en effet de freiner le remplacement des activités commerciales de proximité par des activités de service obligeant à des déplacements contraignants pour effectuer des achats courants.
C'est un droit de priorité, dont bénéficient les personnes publiques (communes et établissements publics de coopération intercommunale - EPCI) pour acheter un bail commercial, un fonds de commerce, un fonds artisanal ou un terrain pouvant accueillir des commerces.
Cette acquisition se fait pour autrui, dans la mesure où la collectivité se doit de revendre le bien acquis à un commerçant ou à un artisan.
Ce droit de préemption commercial ne peut être exercé que sur des biens situés dans une zone spécifique appelée « périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité ».
Sont recensés comme biens pouvant faire l'objet d'un tel droit de présomption commercial (article L.214-1 du Code de l'urbanisme) :
- Des fonds artisanaux,
- Des fonds de commerce,
- Des baux commerciaux,
- Des terrains accueillants déjà ou destinés à accueillir des commerces d'une surface de vente comprise entre 300 m² et 1 000 m².
Un droit de priorité strictement encadré
Les modalités d'exercice de ce droit de préemption sont somme toute assez nombreuses, limitant in fine son application effective, ce que démontraient déjà les travaux préparatoires à la loi Pinel du 18 juin 2014, recensant 81 cas de préemption sur une période
de six ans environ 1.
Une statistique qui interroge, et ce d'autant que cet outil peut être perçu comme une atteinte portée au principe de liberté du commerce et de l'industrie.
Il résulte de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme que les collectivités titulaires du droit de préemption prévu aux articles L. 214-1 et L. 214-2 du même Code peuvent légalement exercer ce droit :
- Si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300 1 du Code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date,
- Et si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
- En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l'occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
Cela correspond à l'application des conditions d'exercice du droit de préemption urbain au droit de préemption commercial, comme illustré par l'ordonnance du 15 décembre 2023 précitée.
Dans ce cas d'espèce, un maire avait exercé le droit de préemption sur une cession du droit au bail commercial consentie par une société d'auto-école à une société qui souhaitait agrandir le commerce de boucherie qu'elle exploitait dans des locaux attenants.
L'objectif affiché de la collectivité était d'éviter la sur-représentation d'une activité, en empêchant la concentration de deux petits commerces en un seul.
L'acquéreur évincé a alors saisi le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative afin d'obtenir la suspension de l'exécution de cette décision de préemption, allant jusqu'à se pourvoir en cassation devant le Conseil d'État qui a reconnu une erreur de droit :
« [...] En écartant comme n'étant pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée les moyens tirés, d'une part, de l'absence de justification de la réalité d'un projet répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme et, d'autre part, de ce que la mise en œuvre du droit de préemption ne répondait pas à un intérêt général suffisant, alors que ni la décision de préemption attaquée, qui se borne à se référer à cette délibération et à indiquer que l'extension d'un commerce déjà existant va à l'encontre de l'objectif de diversité commerciale et artisanale ayant présidé au choix de délimiter ce périmètre, n'apportait de précision quant à la nature du projet poursuivi, notamment la ou les activités commerciales ou artisanales dont l'installation ou le développement seraient organisés dans le périmètre en cause, laquelle ne ressortait pas non plus de la délibération délimitant le périmètre, ni les autres pièces du dossier qui lui était soumis n'indiquaient la nature de ce projet, le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit » (CE, 15 déc. 2023, n° 470167, Sté NM Market).
Il sera retenu qu'une préemption, qu'elle soit urbaine ou commerciale, ne peut être décidée par une commune par effet d'aubaine, mais doit remplir un certain nombre de conditions légales.
Un droit de priorité critiqué
La procédure de préemption commerciale est lourde et contraignante pour les collectivités, qui doivent rétrocéder le bien dans un délai court, élaborer un projet précis et gérer une mise en concurrence.
Elle comporte des risques financiers (absence de repreneur, revente à perte) et juridiques, impliquant jusqu'à trois juridictions différentes selon les litiges.
Finalement, le droit de préemption commercial est un outil complémentaire au droit de préemption urbain, ce dernier étant à privilégier lorsqu'un bien relève des deux régimes, en raison de sa mise en œuvre plus souple et de son efficacité prouvée pour préserver la diversité commerciale des centres-villes.
1 Rapp. n° 1338, de M. Verdier, au nom de la commission des aff. écon., enregistré à la présidence de l'Ass. nat., 29 janv. 2014.