La redynamisation de la participation aux acquêts
On a beaucoup parlé de la loi du 31 mai 2024 et de l'ajout qu'elle a fait au Code civil dans les nouveaux articles 1399-1 à 1 399-6, en créant une véritable « indignité matrimoniale » à l'encontre de l'époux violent envers son conjoint. Une autre nouveauté rend tout son intérêt au régime matrimonial de la participation aux acquêts pour les entrepreneurs qui fuyaient ce régime depuis la réforme du droit du divorce du 26 mai 2004.
La sanction économique des violences extrêmes d'un époux envers son conjoint
Désormais, l'époux qui est condamné pour des violences commises sur la personne de son conjoint (homicide, violences volontaires, viol, agression sexuelle, dénonciation calomnieuse, témoignages mensongers dans une procédure criminelle), se voit privé (parfois même automatiquement, sans qu'il soit besoin d'une condamnation judiciaire), de certains bénéfices de son contrat de mariage conclu avec son époux victime.
Ces nouveaux textes ne s'appliquent qu'aux avantages prévus dans un « contrat de mariage ». Ils ne jouent pas en présence d'un contrat de Pacs aménagé, ni en présence d'une communauté légale en cas de mariage sans contrat.
L'objectif de la loi du 31 mai 2024 a été de sanctionner économiquement les violences familiales et de lutter contre la jurisprudence qui avait pu considérer qu'un époux assassin de son épouse, marié à cette dernière sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale au survivant reçoive tout le patrimoine familial, tandis que les enfants étaient privés de tout droit dans le patrimoine entièrement attribué à l'assassin par la mise en œuvre de l'avantage matrimonial que constituait la clause d'attribution intégrale des biens, tous qualifiés communs.
Jusqu'à cette loi, faute de texte engendrant la perte d'un avantage né du contrat de mariage dans ces situations d'ultime violence, la jurisprudence ne pouvait rien faire pour sanctionner l'époux assassin ou violeur de son conjoint, par exemple.
Désormais les nouveaux textes permettent de supprimer pour l'époux auteur des violences ou des calomnies, le bénéfice des clauses du contrat de mariage conclues en sa faveur qui prennent effet au moment de la dissolution du mariage, soit qu'il y ait divorce, soit qu'il y ait décès (une clause d'attribution intégrale des biens communs ou une clause de partage inégal, par exemple).
Le renouveau de la participation aux acquêts avec exclusion des biens professionnels
Concernant de plus nombreux couples, et en dehors de tout contexte de violence familiale, la loi nouvelle règle, au moins pour l'avenir, le sort des époux qui avaient choisi de se marier sous le régime de la participation aux acquêts avec clause d'exclusion des biens professionnels ou plafonnement du montant de la créance de participation.
En préalable, précisons que sous ce régime, tant que dure le mariage, les époux règlent leur vie matrimoniale, comme s'ils étaient soumis au régime de la séparation de biens (à chacun ses biens, à chacun ses dettes), mais lorsque le mariage prend fin, sonne l'heure des comptes. Une comparaison se fait alors entre le « patrimoine final » détenu par chacun des époux à la dissolution du mariage (la somme de ses biens) et son « patrimoine originaire » composé de ce qu'il possédait avant le mariage ou qu'il a reçu par succession ou donation (ce qui en communauté légale serait qualifié de « biens propres »). Ensuite, les enrichissements respectifs de chaque époux durant la vie commune (les « acquêts ») sont comparés et l'époux qui s'est le plus enrichi doit « compenser » son enrichissement supplémentaire en versant à son conjoint une « créance de participation » de la moitié de la différence des enrichissements en cours d'union. Dès lors, en fin d'union, chaque époux se trouve à égalité d'enrichissement avec son conjoint, comme il l'aurait été en communauté. Ainsi, peut-on résumer ce régime matrimonial « pour le meilleur mais sans le pire » dans la mesure où l'on ne partage que l'enrichissement de l'autre, jamais son appauvrissement, contrairement à ce qui se passe en communauté où l'on partage l'actif comme le passif.
La loi de 2024 a répondu à une difficulté jurisprudentielle liée à l'interprétation de l'article 265 du Code civil qui impactait beaucoup d'époux chefs d'entreprise mariés sous le régime de participation aux acquêts avant la réforme du divorce de 2004, lorsqu'ils divorçaient. En effet l'article 265 du Code civil, issu de la réforme du divorce de 2004, prévoyait que le divorce emportait révocation de plein droit des avantages matrimoniaux ne prenant effet qu'à la dissolution du mariage sauf volonté contraire de l'époux qui avait consenti l'avantage. Cette volonté contraire devait être constatée, dans la convention de divorce par consentement mutuel sans juge ou bien, si le divorce était judiciaire, par le juge au moment du prononcé du divorce. Autant dire qu'en pratique, cela n'arrivait jamais. Les époux ne s'aimant plus, il était purement théorique que l'un entende avantager l'autre...
Or, en pratique, en présence d'époux entrepreneurs, le contrat de mariage de participation aux acquêts contenait souvent, pour le cas de divorce uniquement, une clause d'exclusion des biens professionnels pour le calcul de la créance de participation ou un plafonnement de la créance de participation, ce qui permettait à l'entrepreneur de conserver la valeur de son outil de travail créé en cours d'union et évitait tout partage économique de la valeur de celle-ci avec son conjoint. Ce type de clause, exprimait la volonté des époux de ne participer que sur les biens non professionnels. Chacun des époux s'y retrouvait.
Malheureusement pour l'époux chef d'entreprise, la Cour de cassation avait décidé que ces clauses caractérisaient un avantage matrimonial prenant effet par la survenance du divorce, donc révoqué de plein droit du fait de l'article 265 du Code civil, sauf volonté contraire des époux constatée au moment du divorce (Cour de cassation, Civ. 1re 18 décembre 2019 n° 18-26.337).
L'effet négatif de cette jurisprudence était important tant pour l'entrepreneur que pour son conjoint, dans la mesure depuis lors, les chefs d'entreprises fuyaient ce régime pour lui préférer la séparation de biens dans lequel, l'époux de l'entrepreneur ne pouvait profiter d'aucun enrichissement de son conjoint, pas même sur les biens non professionnels acquis en cours d'union. En cas de divorce, seule la prestation compensatoire, dont on sait qu'elle ne nivelle pas l'absence de participation matrimoniale, pouvait aider la mère de famille abandonnée.
Pour remédier à cette situation inique, la loi du 31 mai 2024 a modifié l'article 265 du Code civil qui permet désormais de constater la volonté des deux époux de maintenir l'avantage matrimonial « irrévocablement » en cas de divorce dans le contrat de mariage, lors de sa rédaction. Ainsi, est-on certain que cet avantage matrimonial sera maintenu en cas de divorce s'il a été stipulé irrévocable. Ce sera une bonne chose aussi pour le conjoint à qui l'époux chef d'entreprise n'imposera pas nécessairement un régime de séparation de biens pour ne pas risquer de perdre une part de son entreprise en cas de divorce.
Cela signifie que désormais les époux peuvent, au moment de la rédaction du contrat de mariage, déclarer irrévocables les avantages qu'ils s'accordent pour le cas où le mariage serait dissous par divorce, par exception au principe que pose l'article 265. Dans le régime de participation aux acquêts, la clause d'exclusion des biens professionnels dans le calcul de la créance de participation, tout comme la clause de plafonnement de cette créance, reprennent pleine efficacité en cas de divorce, à la condition impérative que ces clauses soient déclarées « irrévocables » dans le contrat de mariage.
Cela redonne tout son intérêt au régime de la participation aux acquêts pour l'avenir et devrait entraîner une redynamisation du choix de ce régime dans le cadre des nouveaux mariages.
Attention cependant à l'application de la loi dans le temps. La loi du 31 mai 2024 n'étant pas rétroactive, elle ne s'applique en principe qu'à compter du 2 juin 2024. Pour ce qui est des contrats de mariage souscrits avant cette date, il semble que la loi nouvelle soit sans effet à leur endroit. C'est au moins la position de la doctrine dominante et d'une pratique prudente. Aussi, avant que la mésentente ne se fasse jour, il sera important que les époux mariés sous ce régime avant l'entrée en vigueur de la loi, revoient leur notaire pour un aménagement conventionnel de leur régime matrimonial afin de prévoir que la clause en cause, si elle a été prévue, sera irrévocable en cas de divorce, sinon, il risque de se jouer des contentieux judiciaires importants sur le point de savoir si la loi était ou non applicable immédiatement aux situations en cours, ce que nous pensons, avec de nombreux autres auteurs, ne pas être le cas. Envisager un tel changement conventionnel de régime matrimonial ne sera pas très onéreux et sécurisera les accords passés.