La donation de somme d'argent : les réponses à vos questions

par Me Sonia Prévost
Mercredi 25 juin 2025

Il n'y a rien de plus facile que de donner une somme d'argent à un proche. Mais comment savoir s'il s'agit d'un cadeau ou d'une donation, également appelée « don manuel » ?

Nous donnons couramment de l'argent à nos proches, sans forcément nous soucier des conséquences éventuelles de notre générosité. Le plus souvent, heureusement, il s'agira d'un cadeau sans conséquence. Mais, selon le montant de la somme offerte et les circonstances de sa remise, ce cadeau pourrait être requalifié en donation, ce qui nécessitera une déclaration auprès des impôts et engendrera des conséquences lors du règlement de votre succession. Aussi, pour connaître la nature de ce cadeau, il convient d'analyser s'il constitue un présent d'usage ou une véritable donation.

Le présent d'usage

Cette notion a une double importance. Sur le plan fiscal, d'une part, puisqu'un présent d'usage n'a pas à être déclaré aux impôts. Sur le plan civil, d'autre part, puisque le Code civil, en son article 843, prévoit que tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt. Cette règle du rapport à succession s'applique aux dons manuels. Au contraire, l'article 852 du même Code prévoit que les présents d'usage ne doivent pas être rapportés.

Un événement particulier

La condition première pour retenir la qualification de présent d'usage, est que le don soit fait à l'occasion d'un événement où il est usuel d'offrir un cadeau (anniversaire, Noël, mariage, réussite à un examen...). Un don qui interviendrait en dehors d'un événement particulier ne pourrait être qualifié de présent d'usage.

Quelle limite ?

S'agissant du montant, l'article 852 susvisé précise que « le caractère de présent d'usage s'apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ». Le principe posé par la loi est donc que plus une personne est fortunée, plus elle peut faire des cadeaux importants sans s'appauvrir, sans que cela constitue un don manuel. Les décisions rendues par les juges dans le cadre de contentieux entre héritiers ne permettent pas d'établir une règle de proportionnalité par rapport aux revenus ou à la fortune du donateur. De même, l'administration fiscale ne fixe pas davantage de principes de proportionnalité. Elle indique au contraire dans sa doctrine que « la qualification de présent d'usage pour un cadeau consenti résulte [...] d'un examen des circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l'application de critères normatifs préétablis ». Il n'existe donc dans aucun texte de loi un montant fixe ou un pourcentage permettant de dire s'il s'agit ou non d'un présent d'usage. Cette qualification dépendra de chaque situation.

Le don manuel

Vous l'aurez compris, s'il ne s'agit pas d'un présent d'usage, alors il s'agira d'un don manuel. Le don manuel est une forme de donation simple et fréquente consistant en la transmission de la main à la main d'un bien mobilier, sans acte notarié, par exemple : une somme d'argent (espèces, virement, chèque encaissé), un bijou, une œuvre d'art, un meuble, une voiture...

La fiscalité du don manuel

Bien qu'il soit simple sur la forme, le don manuel est soumis aux mêmes règles fiscales qu'une donation classique, avec des règles spécifiques pour les donations de somme d'argent. Le donataire (celui qui reçoit le don) doit déclarer le don manuel à l'administration fiscale dans un délai d'un mois à compter de la remise de la somme d'argent.

Il existe un abattement spécifique de 31 865 euros pour les donations de somme d'argent, si les conditions suivantes sont toutes remplies (article 790 G du Code général des impôts) :

- Le donateur doit avoir moins de 80 ans au jour de la transmission,

- Le donataire doit être majeur ou émancipé, et être soit l'enfant du donateur, son petit-enfant ou son arrière-petit-enfant, son neveu ou sa nièce si le donateur n'a pas de descendants, ou son petit-neveu ou sa petite-nièce en cas de décès de son parent.

Cet abattement se renouvelle tous les quinze ans.

Pour le surplus de la somme d'argent donnée, ou si les conditions ci-dessus ne sont pas remplies, le don manuel bénéficie des abattements légaux selon le lien de parenté entre le donateur et le donataire (parent à enfant = 100 000 euros, grand-parent à petit-enfant = 31 865 euros, entre époux ou partenaires pacsés = 80 724 euros, entre frères et sœurs = 15 932 euros). Au-delà de ces abattements, des droits de donation sont dus, selon un barème progressif.

Les conséquences lors de la succession

Jusque-là les choses sont assez simples. Mais les difficultés surviennent lors du règlement de la succession du donateur, notamment du fait de l'application des règles du Code civil relatives au rapport. Lorsqu'un héritier a reçu une donation de son vivant par le défunt, sauf volonté contraire du défunt exprimée dans l'acte de donation, il doit rapporter à la succession la valeur du bien donné dans le but de rétablir l'égalité entre les héritiers au moment du partage de la succession. Là où les choses se compliquent davantage c'est qu'il ne s'agit pas simplement de rapporter la valeur donnée, il conviendra de rapporter la valeur du bien donné au jour du décès, d'après son état à l'époque de la donation (article 860 du Code civil).

Prenons l'exemple d'une mère avec deux enfants à qui elle va donner la même somme d'argent, soit 50 000 euros chacun. L'aîné va acquérir avec cet argent un appartement d'une valeur de 100 000 euros. Le cadet va rembourser avec cet argent son prêt étudiant à concurrence de 30 000 euros et acheter une voiture avec le surplus. Au décès de leur mère, chacun des enfants va devoir rapporter fictivement dans sa succession la valeur actuelle des biens donnés. Pour l'aîné, l'appartement au jour du décès de sa mère vaut 150 000 euros ; dès lors, il doit rapporter 75 000 euros. Pour le cadet, le remboursement de son prêt étudiant n'a pas changé de valeur et la voiture achetée a décotée depuis. Dès lors, il doit rapporter la somme nominale donnée, soit 50 000 euros. L'aîné va donc repartager avec le cadet sa plus-value. Finalement, alors que la mère avait donné la même somme d'argent à ses deux enfants en toute équité, au décès, celui qui aura fait fructifier cette somme d'argent devra repartager son profit avec l'autre.

Une solution : la donation notariée

Afin d'éviter cette situation, il est important de consulter son notaire avant toute donation de somme d'argent afin d'aborder avec lui les conséquences fiscales, mais surtout civiles de cette donation.

Si vous envisagez de donner une somme d'argent à vos enfants, afin d'éviter les difficultés de la revalorisation de la somme d'argent donnée au jour de votre décès, il est opportun de le faire dans le cadre d'une donation-partage signée devant le notaire. En effet, l'un des principaux avantages de la donation-partage, sous certaines conditions, est de fixer les valeurs des biens donnés au jour de la donation. Cela signifie qu'il n'y aura pas de réévaluation au jour du décès pour le calcul d'une éventuelle atteinte à la réserve en présence d'héritiers réservataires, notamment les enfants (article 1078 du Code civil).

En outre, une donation-partage est dite « non rapportable » à la succession du donateur, donc en l'absence d'atteinte à la réserve de l'un des enfants, chacun conservera la somme d'argent qui lui a été donnée par le donateur, sans qu'il y ait nécessité de rétablir l'égalité avec les autres.

L'inconvénient de la donation-partage est qu'il faut que chacun des enfants soit alloti, c'est-à-dire reçoive un bien quelle qu'en soit la nature (argent, parts sociales, appartement...). S'il ne vous est pas possible de donner à tous vos enfants en même temps, ou si vous préférez donner à chacun de vos enfants au moment où ils en auront besoin, il est également possible de déroger dans un acte notarié de donation simple aux règles du Code civil relatives au rapport, et notamment à la réévaluation du bien donné.