L'employeur et la santé des salariés : comment allier des droits qui s'opposent ?

par Me Amandine Vachoux
Mardi 15 juillet 2025

Assurer la santé des salariés tout en respectant les règles du secret médical : tel est le défi auquel font face aujourd'hui les employeurs, dans un contexte juridique et réglementaire en constante évolution. La mise en œuvre de nouveaux modèles d'attestations de santé depuis le 1er juillet 2025 illustre cette volonté de concilier deux obligations majeures : la sécurité des salariés et la confidentialité de leurs données médicales.

Une obligation de sécurité renforcée pour l'employeur

L'obligation de sécurité est une pierre angulaire du droit du travail. L'article L.4121-1 du Code du travail impose à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Il ne s'agit pas d'une simple incitation, mais d'une obligation légale et contractuelle, engageant pleinement la responsabilité de l'employeur en cas de manquement.

Initialement considérée comme une obligation de résultat, cette exigence est aujourd'hui interprétée comme une obligation de moyens renforcée : l'employeur doit mettre en œuvre tous les moyens de prévention disponibles, même s'il peut échapper à sa responsabilité en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles.

Dans la pratique, cette obligation se décline en plusieurs axes : des instructions et formations adaptées à chaque poste de travail ; une évaluation permanente des risques professionnels (risques psychosociaux, chimiques, physiques...) ; des mesures concrètes de prévention, et une réaction rapide en cas d'incident ou d'alerte.

En cas d'altercation entre collègues, de harcèlement ou de souffrance psychique, l'employeur doit agir : organiser des entretiens, diligenter une enquête interne ou prendre des mesures d'éloignement ou de réorganisation si nécessaire.

Le poids de la responsabilité de l'employeur

Un manquement à l'obligation de sécurité peut être lourd de conséquences. Il peut notamment être qualifié de faute inexcusable, si l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger, et n'a pas pris les mesures appropriées. Il est important de rappeler que l'imprudence du salarié ne suffit pas à exonérer l'employeur. Pour éviter tout risque juridique, ce dernier doit évaluer les dangers potentiels au sein de son entreprise. Cette évaluation concerne aussi bien : les procédés de fabrication, l'utilisation d'équipements ou de substances, l'organisation du travail ou encore l'aménagement des locaux.

L'évaluation doit se faire selon les conditions réelles de travail et intégrer les différences d'exposition en fonction du sexe, de l'âge ou du poste occupé.

Une articulation délicate avec le secret médical

En parallèle de cette obligation de sécurité, le secret médical demeure inviolable. Il couvre toutes les informations médicales concernant le salarié, y compris son état de santé, ses traitements ou ses diagnostics.

Le médecin du travail est l'intermédiaire clé entre l'information médicale et l'employeur. Il est le seul habilité à formuler des recommandations professionnelles, sans jamais dévoiler la nature précise des pathologies. Cette frontière est parfois difficile à gérer pour les employeurs, notamment lorsqu'il s'agit d'organiser des aménagements ou d'évaluer l'aptitude d'un salarié.

C'est dans ce contexte qu'ont été introduits, depuis le 1er juillet 2025, de nouveaux modèles d'attestations médicales, visant à clarifier les rôles de chacun tout en respectant les obligations légales.

Quatre nouvelles versions de modèles sont entrées en vigueur au 1er juillet 2025 pour encadrer le suivi médical. Un arrêté publié au Journal Officiel du 15 mars 2025 actualise, au 1er juillet 2025, les modèles de documents remis par les professionnels de santé des services de prévention et de santé au travail à l'issue des différents examens et visites réalisés dans le cadre du suivi individuel de l'état de santé des travailleurs.

Il existe désormais quatre nouvelles versions de modèles d'attestation :

Le modèle d'attestation de suivi individuel

Ce document est délivré à l'issue de toutes les visites médicales, à l'exception de la visite de préreprise. Il atteste simplement que le salarié a été vu par un professionnel de santé et fait état d'un suivi médical régulier, sans entrer dans le détail du diagnostic.

L'attestation de suivi peut désormais indiquer que la visite est une visite post-exposition, une visite post-professionnelle ou une visite de mi-carrière.

Un nouvel encadré fait son apparition à la suite du type de visite permettant de cocher d'emblée la case mentionnant que le salarié doit être réorienté sans délai vers le médecin du travail.

Le modèle d'avis d'aptitude

Ce modèle s'adresse aux salariés soumis à un suivi individuel renforcé, par exemple en cas de poste à risque ou de contraintes particulières. Il est délivré lors de la visite d'embauche ou à l'occasion d'un renouvellement périodique.

Le médecin du travail y indique si le salarié est apte à exercer son poste, éventuellement sous réserve de certaines conditions (par exemple, le port d'un équipement, l'aménagement d'horaires).

Seuls l'examen médical d'aptitude à l'embauche ou son renouvellement pourront être cochés, la visite de reprise et la visite à la demande ayant été supprimées de cet avis d'aptitude (une attestation de visite doit alors être délivrée).

Le modèle d'avis d'inaptitude

C'est le document utilisé lorsque le médecin du travail conclut à une inaptitude partielle ou totale du salarié à son poste. Il remplace l'attestation de suivi classique.

L'encadré « conclusions et indications relatives au reclassement » se situe désormais avant l'encadré relatif au cas de dispense de l'obligation de reclassement.

Quant à la dispense de l'obligation de reclassement subséquente au fait de cocher une mention expresse, il est précisé qu'il doit s'agir d'un cas exceptionnel qui prive le salarié de son droit à reclassement par l'employeur et permet son licenciement sans consultation du CSE sur les propositions de reclassement. Autant de signaux qui devraient conduire les médecins du travail à la plus grande réflexion avant de cocher une telle mention.

Le document de proposition de mesures d'aménagement de poste

Le médecin peut y formuler des propositions d'aménagements, fondées sur l'état de santé de l'intéressé, sans jamais révéler la pathologie.

Les mesures d'aménagement peuvent inclure des ajustements ergonomiques du poste, des modifications des horaires ou des changements de tâches.

Ces propositions doivent être prises en compte par l'employeur, qui reste tenu d'assurer la sécurité du salarié inapte. En cas d'impossibilité d'adaptation et de non-contestation, la procédure de licenciement pour inaptitude peut être enclenchée, sous conditions précises.

Vers une coopération renforcée

Ces évolutions traduisent une volonté d'harmonisation et de transparence, dans le respect des droits de chacun. L'employeur, en se fondant sur les avis du médecin du travail, peut adapter les postes sans violer le secret médical. Inversement, le médecin peut remplir son rôle de préventeur, en contribuant à l'amélioration des conditions de travail.

Le dialogue entre les services de prévention et de santé au travail, le comité social et économique, les représentants du personnel et l'encadrement est plus que jamais essentiel.

L'obligation de sécurité de l'employeur et le respect du secret médical ne sont pas contradictoires : ils sont complémentaires, dès lors que chacun respecte son périmètre. Grâce aux nouveaux modèles d'attestation, l'articulation entre santé et travail devient plus fluide, dans un cadre sécurisé juridiquement.

En anticipant les risques, en adaptant les conditions de travail et en collaborant étroitement avec les médecins du travail, les employeurs peuvent assurer la protection de leurs salariés tout en limitant leur exposition au contentieux.