Le traitement judiciaire du harcèlement scolaire

par Me Marion Célisse
Publié Jeudi 28 août 2025

Article publi-rédactionnel / Le harcèlement scolaire est un véritable fléau de notre société. S'il a toujours existé, il est aujourd'hui exacerbé par les réseaux sociaux. Face à l'ampleur du phénomène et la gravité des conséquences, il n'est pas rare que la justice vienne traiter ces dossiers.

En 2023, on estimait entre 800 000 et un million d'élèves victimes de harcèlement scolaire en France, soit entre 6 et 10 % tous niveaux confondus, du CP à la terminale.

La loi définit le harcèlement comme « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale [...]. L'infraction est également constituée : a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ; b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. » (article 222-33-2-2 du Code pénal). Le harcèlement scolaire est aujourd'hui spécifiquement visé dans le Code pénal comme « des faits de harcèlement moral lorsqu'ils sont commis à l'encontre d'un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement » (article 222-33-2-3).

En pratique, il s'agit de violences, d'humiliations, d'insultes, d'utilisation de surnoms, de rumeurs, de plaisanteries blessantes, de moqueries. Pour qualifier ces faits de harcèlement, il faut qu'ils soient répétés dans le temps et qu'ils aient des conséquences sur la santé de la victime ou des répercussions sur sa scolarité (2 % des élèves français ont peur d'aller à l'école).

Le traitement au niveau scolaire, un préalable nécessaire

Devant la médiatisation de cas dramatiques de harcèlement scolaire, certains parents pourraient être tentés de protéger leurs enfants et de déposer plainte à la moindre remontée de difficulté pour leur enfant. Néanmoins, cette judiciarisation pourrait être évitée dans de nombreux cas.

Dans un premier temps, il est préférable de faire remonter les difficultés d'un enfant qui se dit victime de harcèlement au sein de l'établissement scolaire en informant la direction. Cela permettra de mettre en place des mesures de protection de l'élève, de sanctionner éventuellement disciplinairement les auteurs et de constituer des preuves.

Tous les établissements scolaires mettent en place depuis 2021 le programme PHARE pour la lutte contre le harcèlement scolaire. Il sera rappelé que les établissements scolaires ont une obligation de sécurité pour leurs élèves. En ayant connaissance de faits constitutifs de harcèlement, ils sont donc dans l'obligation d'agir. À défaut, la responsabilité de l'établissement pourrait également être recherchée.

En déjudiciarisant le traitement du harcèlement, on évite une procédure pénale traumatisante pour chacun, le public du harcèlement scolaire étant nécessairement jeune. Par ailleurs, si le mineur est âgé de moins de 13 ans, il est présumé non discernant au sens de la loi pénale. Seul le traitement scolaire est donc possible.

Néanmoins, dans les cas les plus graves et lorsque les mis en cause sont plus âgés, les établissements scolaires sont démunis face au fléau du harcèlement. Il convient alors de déposer plainte.

La phase d'enquête

La plainte peut être déposée par le mineur victime seul ou avec ses parents. S'il dépose sa plainte seul, ses représentants légaux en seront automatiquement informés. Il est important que le mineur soit présent lors du dépôt de plainte pour être entendu sur les faits dénoncés. En effet, et notamment à l'âge de l'adolescence, les mineurs préfèrent que leurs parents n'entendent pas tout, une plainte par les parents serait donc incomplète. Le dépôt de plainte par le mineur permet donc de gagner du temps sur l'enquête. Les services d'enquête entendront ensuite tous les témoins, y compris les professionnels de l'établissement scolaire, et les mis en cause, soit sous le régime de l'audition libre, soit sous le régime de la garde à vue.

À la fin de l'enquête, le dossier complet est envoyé au procureur de la République qui peut soit classer l'enquête sans suites s'il considère que le dossier n'est pas suffisamment étayé, soit tenter une alternative aux poursuites (rappel à la loi, stage, médiation avec la victime, interdiction de contact, bannissement numérique...), soit poursuivre le (s) mis en cause devant le juge des enfants.

La phase de jugement

Le mineur auteur peut être poursuivi s'il a plus de 13 ans ou si le procureur de la République l'estime discernant. S'agissant d'un délit, il suit une procédure devant le juge des enfants qui se divise en deux temps.

D'abord, il y a une première audience dite de culpabilité lors de laquelle le dossier est évoqué et le juge prend une décision quant à la qualification des faits : les faits sont-ils constitutifs de harcèlement scolaire ? Le mineur mis en cause est-il coupable ? La victime a toute sa place lors de cette première audience pour s'exprimer sur ce qu'elle a subi et ressenti. Si le juge des enfants estime que le mis en cause est coupable, une période d'observation de 6 à 9 mois est ouverte pour évaluer la personnalité et l'évolution du mineur condamné.

À l'issue de cette période, une seconde audience dite de sanction a lieu pour déterminer la mesure éducative ou la sanction éducative la plus appropriée pour prendre en compte la gravité des faits, le préjudice de la victime et la personnalité de l'auteur. Il sera rappelé que le principe de la justice des mineurs est de privilégier l'éducation plutôt que la sanction pour éviter la récidive. La victime peut assister à cette audience, mais ne peut donner son avis sur la peine à prononcer.

À l'une ou l'autre des audiences, elle a la possibilité de se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice.

La réparation du préjudice pour le harcelé

Les conséquences pour une victime de harcèlement scolaire peuvent être diverses et sont évaluées au cas par cas. Le principe étant l'indemnisation totale du préjudice, il est conseillé de prendre conseil auprès d'un avocat pour quantifier l'indemnisation du préjudice.

Dans certains cas, une expertise médicale et/ou psychologique, voire psychiatrique pourra être demandée afin de déterminer et quantifier l'ensemble des préjudices et ce, dans l'objectif d'obtenir la plus juste réparation possible.

Si une procédure pénale a eu lieu, ces demandes pourront être faites dans le cadre de cette procédure. Les représentants légaux du mineur condamné devront alors payer les dommages-intérêts.

Néanmoins, en cas d'absence de procédure pénale, d'autres solutions peuvent être possibles pour obtenir réparation du préjudice. La première et la plus évidente est d'engager la responsabilité de l'établissement scolaire, au besoin devant le tribunal administratif. La seconde est de rechercher la faute civile du harceleur, à défaut de chercher sa responsabilité pénale. Dans ce cas, la responsabilité civile des représentants légaux pourra être engagée.

Ces procédures n'exigent pas le concours d'un avocat. Néanmoins, il s'agit de procédures complexes qui nécessitent de préparer un dossier important pour obtenir la meilleure indemnisation possible.

De plus, à l'inverse, si un mineur est poursuivi au pénal, il aura obligatoirement un avocat pour sa défense.

Un avocat saura vous accompagner, que vous soyez victime ou auteur, de la plainte à l'exécution de la décision statuant sur l'indemnisation du préjudice. L'accompagnement sera complet et couvert par le plus strict secret professionnel.

En cas de besoin, il est également possible d'appeler le 3018, numéro national pour les jeunes victimes de harcèlement et qui fait intervenir des psychologues, des juristes et des experts
du numérique.