Le maire et le bruit : analyse des prérogatives municipales face aux nuisances sonores

par Me Grégory-Mollion
Publié Mercredi 3 septembre 2025

Article publi-rédactionnel / La problématique du bruit dans les communes est complexe et soulève de nombreuses interrogations, outre sa définition même : à quel moment un son devient-il une nuisance ? Explications et jurisprudences sur cette problématique liée à la tranquillité publique.

D'un point de vue scientifique, le bruit est considéré comme un son non désiré ou perturbateur, alors même que dans une commune, il faut reconnaître que chacun a sa propre tolérance et sa propre sensibilité à l'égard des sons produits dans son environnement...
Il est donc parfois malaisé pour une commune et en particulier son maire de prendre en compte cette complexité pour gérer ce type de problématique, tout en se conformant au cadre légal.
Or dès que le bruit devient un problème d'ordre public, le maire doit prendre en charge le problème, soit par voie de médiation (qui peut parfois avoir du sens dans ce type d'affaires), soit par la voie juridique. En voici le cadre.

Le bruit, une problématique de la tranquillité et de la santé publique

Traditionnellement, le maintien du silence dans l'espace public constitue une exigence de la tranquillité collective.
Le maire, garant du maintien de l'ordre public, se trouve donc investi d'une double mission : préserver la tranquillité et veiller à la santé des habitants.
De son côté, la commune, à travers le conseil municipal, dispose d'autres moyens qui relèvent principalement du plan local d'urbanisme (PLU), voire du Code de la construction et de l'habitation, des outils parfois limités lorsqu'il s'agit de lutter rapidement contre les nuisances sonores.

Les pouvoirs de police du maire en matière de bruit

La législation a renforcé les pouvoirs du maire en matière de lutte contre le bruit. L'article L.2212-2, 2° du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que le maire est responsable de la répression des atteintes à la tranquillité publique, ciblant expressément les bruits, y compris les bruits de voisinage.
Le champ d'application, auparavant limité aux bruits et rassemblements nocturnes, englobe désormais l'ensemble des nuisances sonores susceptibles de troubler le repos des habitantes et des habitants.
Dans les communes à police étatisée, le maire conserve la compétence pour réprimer les bruits de voisinage (articles L.2214-3 et L.2214-4 du CGCT), tandis que l'État garde la main sur la tranquillité publique en général.

Calibrer le bruit et compétence municipale

Pour déterminer si le problème de nuisance qu'on lui soumet sonore relève de la compétence du maire, il convient de s'appuyer sur l'article R.1336-5 du Code de la santé publique : « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'humain, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une chose ou d'un animal sous sa responsabilité. »
On rappellera que lorsqu'il s'agit d'un conflit de voisinage entre personnes privées, le maire est supposé ne pas être concerné : il existe en effet des procédures judiciaires permettant à tout un chacun d'engager une action judiciaire en trouble de voisinage, qui consacre la responsabilité de plein droit de l'auteur d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage en vertu de l'article 1253 du Code civil.
En revanche, dès que le sujet devient public, car il trouble la vie des habitants et menace l'ordre public, le maire se trouve involontairement mais parfois obligatoirement saisi du problème.

Intervention du maire en cas de trouble à l'ordre public

Le maire intervient au moyen des articles L.2212-1 du CGCT et L.2212-2, 2°, précité. Cependant, le pouvoir de police administrative du maire ne doit être exercé que face à des troubles dont la véracité et la gravité des faits allégués sont suffisantes, par effet de répétition ou par leur ampleur.
Si l'administré se plaint de bruits mais n'apporte pas de justification ou de précision suffisante sur l'étendue des nuisances, il ne peut exiger une intervention municipale devant le juge administratif (TA Melun, 19 mars 2009, n° 0506858). En effet, au regard de la jurisprudence, il est préconisé au plaignant de réunir un maximum d'informations et de preuves permettant d'établir la véracité, l'ampleur et la régularité des troubles (mesures du son, expertise judiciaire, constats d'huissier, PV de police, témoignages...). En revanche, pour rappel, toute carence du maire à prendre et à faire respecter les mesures de police pour mettre un terme à ces nuisances est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune (par exemple, à propos d'une salle de musique communale et ce malgré certaines mesures prises : CAA de Bordeaux, 3e chambre, 03/07/2024, 22BX02443 ; voir également CE, 28 nov. 2003, n° 238349).

Proportionnalité des mesures de police du maire

Le maire doit veiller à agir de façon proportionnée et adaptée à la situation. Il ne peut légalement imposer une interdiction générale et absolue à l'administré à l'origine du bruit, il faut l'adapter à l'importance des troubles allégués (CE, 5 fév. 1960, commune de Mougins).
À l'inverse, des mesures limitées dans le temps et ciblant des nuisances précises sont validées par le juge : par exemple, pour une interdiction de pratiquer l'entraînement de chiens de chasse, sur une zone, tous les jours pour la période du 1er au 31 août, tous les samedis et dimanches pendant les mois de juin et de juillet (CAA Lyon, 24 oct. 2000, n° 97LY01201). Et si l'arrêté concerne un particulier, et non pas la population dans son ensemble, cette mesure de police sera nécessairement précédée d'une procédure contradictoire visant à permettre à la personne à l'origine du bruit de présenter des observations (article L.122-1 du Code des relations entre le public et l'administration).

Sanctions en cas de non-respect des mesures

Une fois adopté, l'arrêté municipal constitue un acte administratif faisant grief et opposable à son ou ses destinataires : en cas de non-respect, il s'agit d'une infraction dont la sanction relève du droit pénal. Le maire, en qualité d'officier de police
judiciaire, peut constater les infractions, tout comme les agents assermentés de la collectivité le cas échéant.
Selon l'article R.610-5 du Code pénal,  « la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la première classe »,  soit 38 euros. En complément, l'article R.1337-7 du Code de la santé publique prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 450 euros (contravention de troisième classe) pour le fait d'être à l'origine d'un bruit particulier portant atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé humaine (dans les conditions fixées par l'article R.1336-5). Les sanctions sont identiques pour les tapages nocturnes (article R.623-2 du Code pénal : amende jusqu'à 450 euros). Par ailleurs, ces infractions peuvent être sanctionnées par la procédure de l'amende forfaitaire, permettant une application directe sans recours au juge (article R.48-1 du Code de procédure pénale).

Par Me Grégory Mollion, avocat au Barreau de Grenoble, spécialiste en Droit public.