La servitude de résidence permanente : un nouvel outil de maîtrise foncière
Créée par la loi Le Meur du 19 novembre 2024, la servitude de résidence permanente constitue une limite au droit d'usage des biens immobiliers dans les zones tendues, au service du logement pérenne.
Une servitude d'urbanisme au service du logement permanent
Face à la pression foncière dans les zones dites "tendues" et à l'explosion des meublés de tourisme, la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 dite loi Le Meur, vise à rétablir un équilibre entre attractivité touristique et droit au logement des résidents permanents. Parmi les mesures phares, l'article 5 de la loi crée une nouvelle servitude d'urbanisme : la servitude de résidence permanente. Celle-ci permet aux collectivités de restreindre l'usage privatif d'un bien immobilier à la seule résidence principale, excluant ainsi les utilisations secondaires ou saisonnières.
Fondement juridique et régime applicable
La servitude est codifiée à l'article L. 151-14-1 du Code de l'urbanisme. Elle constitue une servitude d'utilité publique locale, intégrée aux documents d'urbanisme (notamment PLU et cartes communales). Elle peut être instituée dans les zones où le déséquilibre entre offre et demande de logements à l'année compromet le droit au logement, sur délibération de l'autorité compétente. Le maire ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent peut délimiter des secteurs où les constructions nouvelles de logement sont soumises à une obligation d'usage à titre de résidence principale.
Concrètement, la servitude :
- grève les unités foncières ou les immeubles bâtis désignés dans le document d'urbanisme ;
- impose une occupation en tant que résidence principale (au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989) ;
- s'applique aux propriétaires actuels comme futurs, avec une opposabilité au tiers par sa mention dans les documents d'urbanisme.
La mesure de servitudes principales peut s'appliquer :
- aux zones urbaines (U) et à urbaniser (AU) des communes où la part de résidences secondaires dépasse 20 % du nombre total d'immeubles d'habitations dans le périmètre du règlement,
- ainsi que dans les zones concernées par la taxe sur les logements vacants des zones tendues pour le marché du logement.
Elle ne concerne pas le parc de logements existants, mais uniquement les nouvelles constructions.
Articulation avec le droit de propriété et le droit au logement
Cette servitude constitue une limitation au droit d'usage, composante du droit de propriété au sens de l'article 544 du Code civil.
Elle doit donc répondre aux conditions posées par le Conseil constitutionnel en matière d'atteinte au droit de propriété :
- But d'intérêt général : en l'occurrence, garantir l'accès au logement dans les zones touristiques sous tension ;
- Proportionnalité de la mesure : l'atteinte est circonscrite géographiquement et soumise à délibération locale ;
- Prévisibilité et accessibilité : la servitude est intégrée au document d'urbanisme, consultable et opposable.
Effets juridiques sur les propriétaires et praticiens
L'effet juridique principal est l'interdiction des locations de courte durée (type Airbnb) ou de l'occupation à titre de résidence secondaire.
Un manquement à cette obligation peut donner lieu à des sanctions administratives, voire à des actions civiles si la servitude est violée. En effet, le non-respect de l'obligation d'utiliser un bien comme résidence principale entraîne la résiliation automatique du bail. Le locataire est soumis aux mêmes sanctions que le propriétaire en cas de non-respect de cette obligation. Parallèlement, il est précisé que la résiliation ne pourra intervenir qu'après un délai de mise en demeure par les services responsables du contrôle. Ainsi, l'élu local bénéficie de moyens lui permettant de sanctionner le propriétaire ou le locataire du logement qui ne respecterait pas cette obligation d'utiliser le logement comme résidence principale.
Le nouvel article L.481 - 4 du Code de l'urbanisme prévoit que le maire de la commune peut constater une infraction par l'intermédiaire d'un agent commissionné. Le maire pourra mettre en demeure le propriétaire après respect du principe du contradictoire de régulariser la situation dans un délai qu'il détermine, qui ne peut excéder un an et qui pourra être prorogé pour une durée maximale d'un an, compte tenu des difficultés de l'intéressé à s'exécuter. En cas de non-régularisation de la situation, le maire peut prononcer une astreinte journalière à tout moment après l'expiration du délai de mise en demeure, dont le montant peut atteindre 1 000 euros par jour de retard, dans la limite d'un plafond total de 100 000 euros.
Pour les praticiens, la servitude :
- doit être prise en compte lors de la rédaction d'actes de vente ou de baux : l'article L151-14-1 du Code de l'urbanisme instaure l'obligation de mentionner la servitude dans toute promesse de vente, tout contrat de vente ou de location, ou tout contrat constitutif de droits réels. À défaut, le contrat est entaché de nullité. Les propriétaires et locataires successifs sont donc informés de l'obligation de respecter la servitude.
- peut affecter la valorisation immobilière des biens grevés ;
- nécessite une veille urbanistique en amont de tout projet d'achat ou de mutation.
Procédure d'instauration : compétences et modalités
La mise en œuvre relève de l'autorité compétente en matière d'urbanisme (commune ou EPCI). La servitude doit être instaurée dans le règlement du PLU de la commune, et donc par délibération (du conseil municipal ou communautaire s'il s'agit d'un PLUi) à l'occasion de l'élaboration du PLU ou si un PLU couvre déjà le territoire communal, par modification simplifiée.
Si le territoire est couvert par un PLUi et que la servitude envisagée ne concerne que le territoire d'une seule commune, l'initiative de la modification simplifiée du plan pourra être prise par le maire de la commune concernée, et ce, même si l'EPCI est compétent en matière de PLU.
Ainsi, la servitude doit être justifiée dans le rapport de présentation du document d'urbanisme, préciser les unités foncières concernées, et être cartographiée avec précision.
Un nouvel outil dans une stratégie globale de régulation
La servitude de résidence permanente s'ajoute aux outils déjà disponibles pour encadrer les meublés de tourisme, comme l'autorisation de changement d'usage (L. 631-7 CCH) ; la procédure d'enregistrement des meublés (L. 324-1-1 du Code tourisme) ; le contingentement ou la compensation dans les communes concernées.
Elle s'inscrit dans une logique de planification, cohérente avec les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN), en favorisant la réutilisation des logements existants à des fins pérennes.
Une efficacité à suivre et des risques de contentieux
Si l'impact réel de la servitude dépendra de sa mise en œuvre locale, elle pourrait contribuer à un rééquilibrage de l'usage des logements dans les zones en tension. Toutefois, elle pourrait aussi générer des contentieux administratifs (recours contre les PLU) ; des litiges civils en cas de vente sans mention de la servitude ; des revendications indemnitaires en cas de préjudice économique invoqué par les propriétaires.
Son efficacité nécessitera donc une concertation locale approfondie, une rédaction rigoureuse des documents d'urbanisme, et une communication claire auprès des propriétaires et professionnels de l'immobilier. Cependant, certains élus regrettent déjà que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux constructions neuves. Rappelons que la production neuve en France représente seulement 1 % environ du parc total de logements.