La prime sur objectifs : employeur, DRH, les pièges à éviter

par Me Sandrine Villan
Publié Jeudi 30 octobre 2025

Outil de motivation prisé, la prime d'objectifs séduit de nombreuses entreprises. Mais mal encadrée, elle peut rapidement devenir source de litiges, notamment en cas d'objectifs flous, irréalistes ou communiqués tardivement. Pour éviter les contentieux, employeurs et DRH doivent maîtriser les règles juridiques qui encadrent sa mise en œuvre.

Dans un contexte économique incertain et un marché du travail en pleine mutation, les entreprises sont confrontées à deux défis majeurs : la fidélisation des salariés et l'amélioration de la qualité de vie au travail. La prime dite d'objectif, de résultat ou encore de performance fondée sur la performance individuelle ou collective du salarié est un mode de rémunération variable plébiscité par les entreprises, car elle représente un puissant instrument de motivation et de fidélisation de leur personnel.

Aussi, la rémunération variable a le vent en poupe, mais mal maîtrisée, elle peut vite devenir une source de conflit comme en atteste l'abondance du contentieux en la matière. En l'absence de dispositions légales encadrant strictement les rémunérations sur objectifs, la chambre sociale de la Cour de cassation a construit sa jurisprudence au fil des ans.

Aussi, les entreprises qui utilisent cet outil devront observer quelques points de vigilance. Tout d'abord, il ne sera pas inutile de rappeler que les objectifs fixés au salarié devront reposer sur des critères :

- Réalistes et réalisables, notamment au regard de la situation du marché sur lequel évolue l'entreprise ;

- Conformes à l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, ce qui signifie qu'ils ne doivent pas conduire au dépassement systématique de la durée du travail et à l'épuisement professionnel du salarié pour les atteindre.

Attention, un management par objectifs intensifs peut constituer une forme de harcèlement moral (cass soc 9 décembre 2015 n° 14-23.355).

Un employeur qui fixera des objectifs trop imprécis ou inatteignables, qui modifiera les paramètres en cours de période, s'exposera à un contentieux. Dès lors, il appartiendra à l'employeur d'apporter la preuve du respect de ces principes. À défaut, il sera condamné par le juge à payer à son collaborateur le montant maximal de la rémunération variable définie (cass soc 15 décembre 2021 n° 19-20.978).

Qui fixe les objectifs ?

Deux modes de fixation peuvent être envisagés, soit conjointement entre les parties, soit unilatéralement par l'employeur.

La seconde hypothèse présente un avantage certain pour l'employeur qui n'aura pas à recueillir régulièrement l'accord de son collaborateur matérialisé par un avenant au contrat de travail, pour renégocier et redéfinir à chaque période choisie son plan de rémunération variable.

Cette information des modalités de fixation unilatérale de l'objectif devra néanmoins être précisée au contrat de travail afin d'éviter toute ambiguïté.

Quand procède-t-on à l'information du salarié des objectifs fixés ?

Que les objectifs soient déterminés en accord avec le salarié ou unilatéralement par l'employeur, ils doivent être clairement définis pour toute la période et portés à la connaissance du collaborateur au début de cette période.

Tout retard dans la communication des objectifs, ou l'absence de fixation des objectifs par exemple en période de difficultés économiques, sera sanctionné par le juge par le versement intégral de la prime au salarié (cass soc 25 novembre 2020 n° 19-17.246 ; 5 février 2025 n° 23-12.373 ; cour d'appel d'Agen 10 juin 2025 n° 25-238).

La prescription salariale étant triennale, le salarié sera fondé à réclamer son versement au titre des trois dernières années, ce qui pourra représenter un coût substantiel pour l'entreprise en période de crise.

Quid du versement de la prime d'objectifs en cas d'arrêt maladie ?

L'arrêt de travail pour maladie ou accident, professionnel ou non, suspend le contrat de travail. En principe, l'inexécution de son travail par le salarié dispense l'employeur de son obligation de verser à son collaborateur une rémunération, sauf dispositions légales ou conventionnelles prévoyant le maintien de salaire. Le salarié peut-il dès lors demander le paiement de sa prime d'objectifs pendant l'arrêt de travail ?

Ce versement pendant l'arrêt maladie dépendra essentiellement des dispositions qui fixeront ses conditions d'attribution.

Dès lors que le versement de la prime d'objectifs est conditionné à la présence ou à une activité effective du salarié dans l'entreprise au cours de la période de référence, l'absence du collaborateur entraînera une proratisation, voire une suppression du droit à la prime pour la période d'absence (cass. soc. 19 septembre 2018 n° 17 - 11. 618).

Dans un arrêt du 20 novembre 2024 n° 23-19.352, la Cour de cassation réaffirme et précise qu'une prime liée à la réalisation d'objectifs n'est pas due en cas d'arrêt prolongé pour maladie, sauf clause contractuelle ou conventionnelle contraire. En l'espèce, la salariée ne se prévalait d'aucune clause contractuelle ou conventionnelle de maintien de salaire lui permettant de bénéficier du versement de sa prime.

A contrario, la solution serait différente si l'employeur était tenu au maintien du salaire légalement ou conventionnellement. Dans cette hypothèse, il est probable que l'assiette de calcul du maintien de salaire devrait tenir compte des primes d'objectifs acquises par le salarié avant son arrêt de travail.

Attention cependant, si l'arrêt maladie résulte d'une situation d'épuisement professionnel ou de harcèlement moral, l'employeur pourra être condamné au paiement intégral de la prime d'objectifs à titre de sanction.

Quid de l'inclusion du montant des primes d'objectifs dans l'assiette de calcul des heures supplémentaires ?

Il est de jurisprudence constante que les éléments de rémunération, dont les modalités de fixation permettent leur rattachement direct à l'activité personnelle du salarié, doivent être intégrés dans la base de calcul des majorations pour heures supplémentaires
(cass. soc. 23-9-2009 n° 08-40.636 FS-PB).

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a confirmé que les primes d'objectifs devaient être incluses dans le calcul des heures supplémentaires, sauf à ce que ces primes ne soient pas directement rattachées à l'activité personnelle du salarié (cassation sociale 5 mars 2025 n° 22-21. 359).

Ainsi, une prime d'objectifs qui serait fondée sur la performance de l'équipe d'un manager ne serait pas, a priori, incluse dans l'assiette de calcul des heures supplémentaires de ce manager.

Il faut s'interroger sur le cas particulier des entreprises qui pratiquent un horaire collectif supérieur à la durée légale du travail engendrant la réalisation régulière d'heures supplémentaires. Celles-ci auront tout intérêt à inclure expressément dans leur clause d'objectifs une disposition matérialisant l'inclusion de la rémunération de la majoration de salaire des heures supplémentaires réalisées mensuellement dans le cadre de l'horaire collectif dans le taux de la prime.

Quid du droit à la prime en cas de départ de l'entreprise avant le terme de la période ?

La jurisprudence a posé le principe selon lequel le salarié a droit à sa prime sur objectifs au proratade son temps de présence (cass soc. 9 février 2022 n° 20-12.611).

Toutefois, rien n'interdit à l'employeur de fixer une condition de présence du salarié au moment du versement de son versement. La jurisprudence a cependant posé une condition : cette présence ne doit pas être postérieure à la période pour laquelle les objectifs ont été réalisés (cass soc 3 avril 2007 n° 05-45.110 et cour d'appel de Nîmes, 4 février 2025 nº 23/00496).

Le management par objectifs est un outil de motivation des salariés qui permet de récompenser leur performance. Il implique néanmoins une gestion rigoureuse conforme aux principes définis par la jurisprudence.

Aussi, les employeurs, pour limiter tout risque de contentieux, devront veiller à rédiger des clauses claires et précises, régulièrement actualisées.