La réforme de l'instruction du procès civil : une révolution !

par Me Christophe Michoud
Publié Mardi 4 novembre 2025

La procédure civile n'avait pas connu pareille révolution depuis l'adoption de son « nouveau » Code, le 5 décembre 1975 : un demi-siècle plus tard, le décret du 18 juillet 2025 portant réforme de l'instruction et recodification des modes amiables opère un changement de paradigme en érigeant la mise en état conventionnelle en principe, la mise en état judiciaire devenant l'exception !

Si le procès civil est « la chose des parties », force est de constater que les avocats ne se sont pas emparés de la mise en état participative que leur offrait le décret du 6 mai 2017, nonobstant la suppression du caractère automatique de la purge des vices de procédure et des fins de non-recevoir par le décret du 13 octobre 2021. La direction des affaires civiles et le sceau du ministère de la Justice ayant désigné Grenoble comme cour d'appel pilote de la réforme, les avocats des cinq Barreaux du ressort (Grenoble, Valence, Vienne, Bourgoin-Jallieu et Gap) en sont désormais les ambassadeurs auprès d'une population de quelque deux millions de justiciables.

Les conventions d'instruction conventionnelle simplifiée et de procédure participative de mise en état ont le même objet, celui de permettre aux parties de se réapproprier l'instruction de leur affaire, en la mettant en état d'être jugée et de gérer au mieux les délais de procédure, en s'accordant sur les principaux éléments que sont :

- l'objet du litige, les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat,

- les modalités et délais de communication de leurs pièces et conclusions,

- le recours à un technicien aux fins de constatation, de consultation ou d'expertise amiable,

- la consignation des auditions des parties, comprenant leur présentation du litige, les réponses aux questions de leurs conseils et leurs observations,

- la consignation des déclarations de toute personne acceptant de fournir son témoignage sur les faits auxquels elle a assisté ou qu'elle a constatés.

Les affaires ainsi instruites bénéficient d'un audiencement prioritaire, avec des dates réservées, afin de garantir l'attractivité de la réforme (articles 127 et 128 nouveaux du Code de procédure civile).

L'instruction conventionnelle simplifiée

À la différence de la procédure participative de mise en état (PPME), la convention d'instruction conventionnelle simplifiée (ICS) n'a pas à respecter le formalisme de l'acte sous seing privé contresigné par avocats dit « acte d'avocat » et peut être conclue sans signature des parties elles-mêmes
(articles 129 et 129-1).

Elle peut aussi être conclue avec l'une des parties et l'avocat de l'autre partie, lorsque la représentation par avocat n'est pas obligatoire, voire entre les parties elles-mêmes en l'absence de conseils.

Les parties informent le juge saisi de l'affaire par voie de conclusions concordantes de leurs avocats ou en lui transmettant une copie de la convention d'ICS, car sa conclusion interrompt le délai de péremption de l'instance et les délais dits « Magendie » impartis pour conclure en appel et former appel incident ou provoqué (articles 129-2 et 129-3).

À la condition que l'exécution de la convention d'ICS donne lieu à des actes permettant de faire progresser l'affaire, cette interruption dure jusqu'à la survenance du terme fixé par les parties ou jusqu'à l'avis du greffe matérialisant la reprise de l'instruction judiciaire.

En effet, en cas de non-respect de la convention que l'intervention du juge ne permet pas de faire cesser, celui-ci peut reprendre l'instruction judiciairement ; les délais interrompus repartant à zéro à compter de l'avis susvisé.

Pendant l'ICS, le juge, qui n'est pas dessaisi de l'affaire et doit veiller à son bon déroulement, reste compétent pour statuer sur une exception de procédure (ex. : incompétence de la juridiction), une fin de non-recevoir (ex. : prescription de l'action), un incident (ex. : communication de pièces) et pour ordonner une mesure conservatoire ou provisoire (ex. : mise sous séquestre).

La procédure participative de mise en état

La convention de procédure participative de mise en état (PPME), qui reste soumise au formalisme de l'acte d'avocat, engage les parties, assistées de leurs avocats, à œuvrer conjointement et de bonne foi à la mise en état de leur litige (article 130).

À ne pas confondre avec la procédure participative de règlement amiable, le régime de la PPME a été également simplifié grâce à des aménagements procéduraux, les actes d'instruction pouvant notamment ne pas respecter le formalisme des actes de procédure contresignés par avocats (APCA) selon la circulaire du 19 juillet 2025.

Monopole de l'Avocature (article 2064 du Code civil), la convention de PPME interrompt le délai de péremption et les délais Magendie dès sa conclusion et ne dessaisit pas le juge qui garde les mêmes compétences qu'en cas d'ICS, pour statuer sur une exception, une fin de non-recevoir, un incident et pour ordonner une mesure conservatoire ou provisoire.

À la condition que les avocats l'aient informé sans délai de l'existence d'une PPME, le juge fixe la date de clôture de l'instruction et le cas échéant, celle de l'audience de plaidoiries, en fonction du terme de la convention (article 130-2).

Si les parties ne devaient pas arriver à mettre leur affaire en état d'être jugée, elles pourraient s'adresser au juge saisi à l'issue de la PPME pour l'avertir de l'absence d'avancée et lui demander de reprendre l'instruction judiciairement.

Outre la survenance de son terme, la convention de PPME prend fin par la réalisation de son objet sans en attendre le terme, un accord des parties contresigné par leurs avocats y mettant fin de manière anticipée, l'inexécution de la convention par l'une des parties, un accord mettant fin en totalité au litige, quel que soit le mode amiable utilisé (article 130-6).

La désignation conventionnelle d'un technicien ou « expertise amiable »

Les parties peuvent s'accorder sur cette désignation au cours d'une ICS ou d'une PPME, d'une instruction judiciaire et même en dehors de toute saisine d'une juridiction, en déterminant la mission et les modalités de la rémunération du technicien (article 131).

Par rapport au droit antérieur, la révolution porte sur les points suivants : le formalisme des APCA n'est plus imposé à la convention d'expertise amiable (EA) ; l'interdiction pour le technicien de concilier les parties est abrogée (article 240 ancien) ; la possibilité de recourir à un juge d'appui est instaurée ; la force probante du rapport d'EA est renforcée.

Le technicien peut désormais tenter de concilier les parties afin de permettre, aux cours des opérations d'expertise, un règlement amiable du différend s'il est choisi par les parties comme médiateur conventionnel (processus réglementé) après la remise d'une note ou d'un pré-rapport ; s'il est désigné par le juge saisi en respectant les règles de la médiation judiciaire (processus réglementé) ou s'il parvient à un accord selon un processus non réglementé, dont les parties devront solliciter l'homologation (circulaire du 19 juillet 2025).

Il était temps : le Code de justice administrative permet à l'expert de se voir confier une mission de médiation, dont il peut même prendre l'initiative avec l'accord des parties, en en informant la juridiction depuis le décret du 7 février 2019 !

Les parties peuvent également demander au juge saisi de l'affaire ou au président de la juridiction compétente à défaut, d'intervenir comme juge d'appui en cas de difficultés relatives à la désignation du technicien, à son maintien ou à l'exécution de sa mission (articles 131-3 à 131-5).

Le juge d'appui peut en effet désigner un technicien à défaut d'accord des parties sur son choix ; enjoindre aux parties de lui transmettre les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; tenter de rapprocher les parties en proposant son remplacement à défaut d'accord sur son maintien ; et même, en reprenant l'instruction judiciairement, ordonner une autre expertise.

Quant à la force probante du rapport d'EA, le nouvel article 131-8 a expressément prévu que, lorsque la convention désignant le technicien est conclue entre avocats, le rapport qu'il remet aux parties a la même valeur qu'un avis rendu dans le cadre d'une mesure d'instruction judiciairement ordonnée, c'est-à-dire celle d'un rapport d'expertise judiciaire.

Conclusion

Les modes amiables de règlement des différends, recodifiés au livre V du Code de procédure civile (deuxième partie de la réforme),  « outils révolutionnaires » de résolution des conflits, entraînent donc une nouvelle « révolution culturelle juridique » de la politique civile du ministère de la Justice, dont la circulaire a été publiée pour la première fois en France le 27 juin 2025, et de sa procédure dont les praticiens du ressort de la cour d'appel de Grenoble sont à nouveau les pionniers.


Lire aussi Les Pages du Barreau dans Les Affiches du 16 juin 2023 et du 11 juillet 2025.