Comment récupérer un nom de domaine « cybersquatté » ?

par Me Josquin louvier
Publié Lundi 10 novembre 2025

La dénomination ou la marque d'une entreprise ou d'une collectivité peut être enregistrée comme nom de domaine par un tiers indélicat, pour promouvoir sa propre activité, ou le monnayer au prix fort. Face à cette situation, les titulaires de marque disposent de plusieurs recours, tant judiciaires qu'extrajudiciaires, afin de récupérer la propriété du nom de domaine « squatté ».

La marque est un élément essentiel du fonds de commerce et un outil majeur de valorisation d'une entreprise.

La défense de la marque et de son image constitue une préoccupation majeure des entreprises, en particulier lorsqu'elles sont engagées à l'international, sur un marché fortement concurrentiel. De même, pour une collectivité, la défense de son nom face à une exploitation commerciale indue constitue un enjeu majeur de protection de sa renommée et de sa réputation.

Le cybersquatting constitue l'une des atteintes les plus récurrentes aux marques et dénominations. Cette pratique consiste en l'enregistrement par un tiers d'un nom de domaine dans une extension donnée (par exemple, en.com ou.fr), dans le but d'empêcher le titulaire d'une marque identique d'enregistrer son signe dans cette extension, et ce, grâce au système du « premier arrivé, premier servi ». Cet enregistrement est effectué aux fins de revendre le nom de domaine à son titulaire naturel, de profiter de sa notoriété, ou de lui nuire.

Cette pratique englobe aussi le typosquatting, consistant à enregistrer un nom de domaine quasi-identique à la marque, moyennant une faute de frappe ou d'orthographe (ex : wikipedai.org).

Face à ces agissements frauduleux, l'entreprise (ou la collectivité) dispose de moyens d'action, soit judiciaires, soit administratifs, afin de récupérer le nom de domaine concerné. Ces recours présentent chacun leurs avantages et leurs inconvénients, en fonction de l'objectif poursuivi.

Le recours judiciaire : un recours naturel, mais parfois inefficace

En ce qu'il reprend à l'identique ou quasi-identique une marque antérieure, le cybersquatting peut naturellement constituer un acte de contrefaçon, dès lors que le nom de domaine est exploité pour une activité relevant des produits et services visés par la marque.

À titre d'exemple, une société spécialisée dans l'installation et le remplacement de vitrages, titulaire de la marque Proxivitre a mis en cause, avec succès, l'enregistrement et l'usage par un concurrent du nom de domaine proxi-vitre.com ; et a ainsi obtenu l'interdiction d'usage et le transfert du nom de domaine à son profit (TJ Lille, 13/09/24).

Lorsque la contrefaçon est évidente, le titulaire de la marque peut également agir en référé. C'est ainsi que la société GSE, promoteur immobilier, a d'abord obtenu une décision faisant interdiction à sa concurrente, la société GSE Construction, de faire usage de cette dénomination, sous astreinte ; et ce sur le fondement de ses marques antérieures GSE et GSE Build, de sa dénomination sociale et du nom de domaine gsegroup.com.

Au fond, le tribunal a retenu la contrefaçon de marque, estimant que le signe « GSE Construction » pouvait apparaître comme une déclinaison des marques antérieures de la société GSE, ainsi que la concurrence déloyale pour atteinte à la dénomination sociale. Il a ainsi ordonné le transfert du nom de domaine gse-construction.com au profit de la société GSE (TJ Marseille, 01/02/24).

Pour autant, les décisions judiciaires n'interviennent souvent qu'après plusieurs années de procédure, sauf succès en référé.

En outre, l'efficacité des procédures judiciaires trouve ses limites lorsque l'auteur de la contrefaçon est situé en dehors du territoire national.

Ainsi, à supposer qu'il obtienne satisfaction du juge français, le titulaire de la marque aura les pires difficultés pour faire exécuter sa décision à l'encontre d'un contrefacteur ou d'un prestataire d'enregistrement (« registrar ») domicilié hors Union européenne, dans un État n'étant lié avec la France par aucune convention internationale. Qu'il s'agisse de recouvrer d'éventuels dommages-intérêts, ou simplement de récupérer le nom de domaine, la décision rendue risque de rester lettre morte.

La procédure administrative : rapide, mais plus coûteuse

Lorsqu'une organisation est victime de « cybersquatting », elle peut également avoir recours à une procédure administrative spécifique, gérée par le centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle).

Cette procédure concerne tous les noms de domaine génériques (tels que.com, .net, .org), et permet au titulaire d'une marque d'obtenir rapidement le transfert du nom de domaine litigieux à son profit, par le biais d'une décision d'arbitrage, qui s'impose à tous les registrars, quel que soit le pays où ils sont implantés.

Pour obtenir satisfaction, le requérant doit apporter la preuve que :

1) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle il a des droits ;

2) le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache,

3) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Dans un grand nombre de cas, lorsque le défendeur a réservé le nom de domaine afin de le revendre au titulaire de la marque, et qu'il n'en fait aucune exploitation commerciale propre, ou une exploitation concurrente, la mauvaise foi ainsi que l'absence d'intérêt légitime seront présumées.

C'est ce qui explique que près de 80 % des plaintes auprès de l'OMPI soient couronnées de succès. Dans les autres cas, notamment en cas d'exploitation non commerciale, à des fins associatives ou personnelles (sites de fans ou d'enquêtes), l'intérêt légitime ou la bonne foi feront échec à la demande de transfert.

La procédure d'arbitrage de l'OMPI présente deux avantages majeurs : son efficacité (les décisions sont immédiatement exécutées par le registrar) et sa rapidité (la décision d'arbitrage est rendue dans un délai moyen de deux mois). Son coût n'est pas négligeable : les frais et honoraires de l'expert sont fixés à 1 500 euros, auxquels il faut ajouter ceux de l'avocat. S'agissant d'une procédure assez technique, soumise à des délais très courts, entièrement dématérialisée, et généralement conduite en anglais, il est en effet conseillé de se faire assister d'un conseil spécialisé.

Cependant, et c'est le principal inconvénient de cette procédure extrajudiciaire, le titulaire de droits ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts, ni de remboursement de ses frais de défense.

Une procédure semblable a été mise en place par l'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic), pour les noms de domaine en «.fr », dénommée « Syreli », et qui repose sur les mêmes principes que celle de l'OMPI.

C'est dans ce cadre que le Département de Saône-et-Loire a obtenu le transfert du nom de domaine saône-et-loire.fr, sur la base de sa marque antérieure « Saône et Loire le département », les experts de l'Afnic ayant retenu l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, et l'absence d'intérêt légitime du réservataire. Cette décision a été confirmée en appel et en cassation (Cass. com 05/06/2019).

Face à une atteinte à sa marque, il appartiendra donc à l'organisation concernée d'arbitrer entre une solution rapide et efficace, mais plus coûteuse, et un recours judiciaire classique, plus avantageux sur le plan indemnitaire, mais dont l'efficacité peut être aléatoire, et dont l'issue est nécessairement plus longue.