Évaluer, c'est anticiper : les risques fiscaux d'une valorisation imprécise

par Keltoum Montbrun et Dominique Séon
Publié Mercredi 12 novembre 2025

L'évaluation d'une entreprise, d'un actif ou d'une opération n'est jamais un simple exercice technique. Au-delà des modèles financiers et comptables, elle s'impose comme un acte stratégique et fiscal engageant la responsabilité du dirigeant autant que celle du professionnel. L'expert-comptable en garantit la rigueur, la transparence et la fiabilité.

Tout au long de la vie de l'entreprise, l'évaluation éclaire les choix, pèse sur la fiscalité et, parfois, devient le terrain de débats devant la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CDITCA), instance consultative appelée à se prononcer entre autres sur les différends d'évaluation entre l'administration et le contribuable.

L'évaluation : un enjeu fiscal majeur

L'évaluation d'une entreprise, d'un actif ou d'une opération ne se limite pas à un besoin économique ou comptable : elle constitue souvent la base de calcul de l'impôt.

Dans le cadre d'une donation, d'une succession, d'une fusion, d'un apport ou d'une cession, la valorisation sert de référence pour déterminer les droits dus ou les régimes applicables.

Une erreur d'appréciation peut modifier significativement la charge fiscale et exposer le contribuable à un redressement.

La valeur d'une entreprise n'est donc jamais neutre : elle influence la fiscalité applicable ainsi que les stratégies de transmission. L'origine et la documentation de son évaluation influencent la crédibilité du dossier face à l'administration.

Les risques d'une évaluation erronée

Une mauvaise évaluation ne résulte pas toujours d'une erreur de calcul.

Elle découle fréquemment d'un manque de justification, d'une documentation insuffisante ou d'hypothèses économiques mal fondées.

Les principales conséquences fiscales d'une évaluation erronée sont :

- Le redressement de la base imposable : en cas de sous-évaluation, l'administration peut rehausser la valeur et recalculer les droits de mutation.

- La perte d'avantages fiscaux : un pacte Dutreil ou un autre régime de faveur peut être annulé si la valeur déclarée est irréaliste.

- Des pénalités pour manquement délibéré : des majorations pouvant atteindre 40 % sont appliquées lorsque l'administration fiscale estime qu'il existe une intention libérale, notamment dans le cadre de cessions intrafamiliales ou de donations sous-évaluées.

Ainsi, une évaluation imprécise n'est pas seulement un risque financier : elle engage également la responsabilité fiscale et juridique du dirigeant et de l'expert qui l'assiste.

Les critères de contrôle retenus par l'administration

Face à ces enjeux, il est utile de comprendre sur quels critères l'administration fonde
son analyse.

L'administration fonde son analyse sur des méthodes hiérarchisées selon leur fiabilité :

- La méthode de référence : la cession de bloc. Cette valorisation repose prioritairement sur le prix de transactions comparables récentes (moins de deux ans), reflet direct du marché.

- Les méthodes secondaires : la méthode patrimoniale et de rendement. À défaut de comparables, l'évaluation combine la valeur de l'actif net réévalué et la rentabilité historique, conciliant solidité financière et performance économique.

L'administration privilégie des données objectives, vérifiables et contemporaines, écartant les méthodes spéculatives.

Dans cette logique de réalisme et de prudence, le Conseil d'État, dans son arrêt du 7 avril 2023 (n° 466247), a précisé qu'une différence entre le prix convenu et la valeur vénale devait être appréciée au cas par cas, tout en admettant qu'un écart d'environ 20 % pouvait constituer une marge de tolérance raisonnable.

Cette position rappelle que l'évaluation ne relève pas d'une science exacte, mais d'une appréciation raisonnée fondée sur des éléments objectifs et justifiables.

Prévenir le risque fiscal : méthode, justification, prudence

La meilleure protection contre un redressement fiscal repose sur une évaluation rigoureuse et solidement documentée, fondée sur trois principes essentiels :

- Une méthode adaptée à l'opération et au secteur, clairement expliquée et justifiée ;

- Une traçabilité des hypothèses et la conservation des sources (bilans, études, calculs, décisions sociales) ;

- Enfin, la prudence dans les hypothèses, évitant projections excessives ou décotes injustifiées.

Actualiser régulièrement les évaluations, documenter les choix et recourir à un expert indépendant renforcent la crédibilité du dossier.

Le rôle central de l'expert-comptable

Dans un environnement fiscal de plus en plus exigeant, l'expert-comptable occupe une position stratégique.

Son rôle ne se limite pas à produire un chiffre : il consiste à garantir la cohérence, la rigueur et la traçabilité de l'ensemble du processus.

Ainsi en cas de contestation, son rapport constitue une preuve technique et fiscale solide.

De plus, l'expert-comptable agit comme intermédiaire entre l'entreprise et l'administration, capable d'expliquer les choix retenus et de défendre la position de son client avec professionnalisme et transparence.

Il contribue ainsi à la prévention des litiges, tout en assurant la conformité des pratiques.

En conclusion, face à une administration fiscale dotée d'outils d'analyse toujours plus performants et d'un droit de reprise étendu, une évaluation imprécise peut avoir de lourdes conséquences.

Ainsi une valorisation juste et étayée constitue le meilleur rempart contre les rectifications et les litiges.

Véritable gage de sécurité juridique et patrimoniale, l'évaluation, conduite par l'expert-comptable, garantit à l'entreprise crédibilité, stabilité
et pérennité.