Blagues sexistes au travail = harcèlement sexuel d'ambiance
Le 25 novembre prochain, comme toutes les années depuis 1999, aura lieu la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. L'occasion de revenir sur l'actualité jurisprudentielle relative au harcèlement sexuel.
Ces derniers mois, deux arrêts fondamentaux ont consacré, tant en droit du travail qu'en droit pénal, la notion de harcèlement sexuel environnemental ou d'ambiance.
Blagues sexistes, propos grossiers, commentaires graveleux, attitudes inadaptées, le monde du travail peut faire apparaître différents comportements susceptibles d'engendrer un climat de travail difficile à supporter pour les femmes. Depuis quelques années, la jurisprudence encadre de manière de plus en plus stricte ces agissements, pour consacrer ces derniers mois la notion de harcèlement sexuel d'ambiance. Les employeurs ont donc l'obligation d'agir face à de tels comportements, sous peine de voir leur entreprise condamnée pour harcèlement sexuel d'ambiance et manquement à l'obligation de sécurité.
Revenons sur les deux arrêts prononcés ces derniers mois.
En droit du travail : le harcèlement sexuel d'ambiance en entreprise
Dans un arrêt rendu le 26 novembre 2024 (CA Paris, 26 novembre 2024, n° 21/10408), la cour d'appel de Paris a condamné un employeur pour harcèlement discriminatoire fondé sur « l'existence de propos sexistes et d'agissements à caractère sexiste et sexuel caractérisant un harcèlement d'ambiance à l'égard des femmes. »
Dans cette affaire, une salariée se plaignait de propos et blagues sexistes tenus par ses collègues masculins dans l'open space, la mettant mal à l'aise, ainsi que d'agissements sexistes consistant en des échanges de mails entre collègues masculins à teneur sexuelle et comportant des photographies de femmes pour partie dénudées ou dans des positions suggestives. La cour a retenu que la proximité matérielle des postes de travail « ne permettait pas à la salariée de s'abstraire de cet environnement et d'ignorer les images à caractère sexuel et les propos sexistes échangés portant atteinte à sa dignité de femme - cette situation ayant eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé. »
Aux termes de cette décision, la cour d'appel de Paris a retenu l'existence d'un harcèlement sexuel d'ambiance, dans la mesure où les agissements avaient lieu à proximité du poste de travail de la salariée et que cette dernière ne pouvait « s'abstraire de cet environnement », et ce, bien que la salariée n'était pas directement visée par les échanges à teneur sexuelle et sexiste.
L'employeur a ainsi été condamné à verser à la salariée des dommages et intérêts au titre du harcèlement subi ainsi qu'au titre du manquement à son obligation de sécurité.
Il ressort donc de cet arrêt que « le harcèlement sexuel d'ambiance » est constitué même s'il ne vise aucune personne en particulier, dès lors qu'il émane d'un groupe de personnes au sein de l'entreprise, et que la salariée ne peut s'abstraire de cet environnement portant atteinte à sa dignité de femme.
La cour a enfin rappelé, que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité et qu'il doit donc prendre toutes les mesures qui s'imposent afin d'éviter ce type de comportements dans son entreprise notamment avec des actions de prévention et de sensibilisation telles que des formations.
Quelques mois après le prononcé de cette décision, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue à son tour condamner le harcèlement sexuel d'ambiance.
Le harcèlement sexuel d'ambiance en droit pénal
Un important arrêt émanant de la chambre criminelle de la Cour de cassation a consacré à son tour, le 12 mars 2025, le harcèlement sexuel d'ambiance (Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mars 2025 n° 24-81.644).
Dans cette affaire, quinze étudiantes se plaignaient de propos sexistes tenus par un de leurs enseignants durant les cours. L'université à laquelle elles appartenaient, décidait alors de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale, pour dénoncer les propos et attitudes sexistes et dénigrants du maître de conférences. Le professeur était ainsi poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement sexuel par personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions et condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à trois ans d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle d'enseignant.
Ayant relevé appel de cette décision, le professeur était relaxé en cause d'appel. L'université formait donc un pourvoi en Cassation. Dans son arrêt du 15 mars 2025, la Cour de cassation a accueilli ce pourvoi en retenant que « les propos à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes, ou de tels comportements adoptés devant plusieurs personnes, sont susceptibles d'être imposés à chacune d'elles », de sorte que le professeur proférant des propos sexistes en cours et devant une assemblée d'étudiantes et d'étudiants, est réputé les avoir directement et personnellement adressés à chacune d'entre elles et à chacun d'entre eux.
La Cour de cassation retient donc à son tour la notion de harcèlement sexuel d'ambiance (sans toutefois vraiment reprendre ce terme) et rappelle qu'il constitue un délit prévu et réprimé par l'article 222-33 du Code pénal.
Les obligations de l'employeur
Agir : l'employeur est tenu d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et salariées.
Il doit donc :
- Mettre en place auprès du personnel, et notamment du personnel encadrant et des équipes RH, des actions d'information, de formation et de prévention propres à prévenir les agissements sexistes et le harcèlement sexuel (formations de sensibilisation par exemple),
- Élaborer une procédure interne de signalement, d'écoute et de traitement,
- Évaluer les risques dans le Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), obligatoire dès l'embauche du premier salarié,
- Mentionner dans le règlement intérieur les dispositions légales relatives au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes,
- Désigner un référent harcèlement sexuel dans les entreprises de plus de 250 salariés, et un référent harcèlement au sein des membres du comité social et économique (CSE).
Il peut également mettre en place une charte de bonne conduite, une politique d'affichage des dispositions légales relatives au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes, ou diffuser à l'ensemble du personnel des petites vidéos de sensibilisation...
Réagir : en cas de signalement, l'employeur doit accuser réception du signalement, entendre le ou la plaignante, prendre des mesures conservatoires pour le ou la protéger, diligenter une enquête rigoureuse, et prendre à l'issue de l'enquête et lorsque les faits sont avérés, les mesures qui s'imposent à l'encontre de l'auteur.
Victimes de harcèlement sexuel d'ambiance que faire ?
Si vous êtes victimes de harcèlement sexuel d'ambiance, parlez-en à votre employeur. Il devra prendre toutes les mesures pour faire cesser les agissements.
D'autres recours sont à votre disposition, comme la saisine de la défenseure des droits, de l'inspection du travail, ou d'un avocat qui pourront défendre vos droits. Vous pouvez également déposer plainte ou appeler le 3919.
Pour conclure
L'arrêt de la cour d'appel de Paris tout comme l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation démontrent la nécessité de lutter contre toute forme de violence sexiste et sexuelle, dont les femmes peuvent être victimes, y compris sur leur lieu de travail.
Il s'agit de ne plus tolérer de comportements sexistes, qui pourraient constituer un harcèlement sexuel d'ambiance susceptible d'engager la responsabilité de l'employeur, de nuire à la santé des femmes et d'entraîner un climat de travail délétère.

