Dénonciation de harcèlement ou de discrimination : comment réagir et gérer une enquête interne ?
La gestion des signalements de faits de harcèlement ou de discrimination est un enjeu majeur en droit du travail. Une réaction appropriée de l'employeur est essentielle pour protéger les droits des salariés et préserver l'intégrité de l'organisation dans l'entreprise.
En cas de signalement, le juge estime que l'employeur doit, pour respecter son obligation de sécurité vis-à -vis de son personnel, diligenter une enquête interne pour avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à l'intéressé, et prendre des mesures appropriées pour les faire cesser.
Le recours à une telle enquête n'est pas prévu par la loi, c'est la jurisprudence qui a construit progressivement le cadre juridique.
La décision-cadre n° 2025-019 du Défenseur des droits du 5 février 2025 offre un cadre méthodologique précis pour la conduite d'enquêtes internes efficaces et respectueuses des droits fondamentaux des personnes mises en cause.
La réception du signalement : une obligation de diligence
Lorsqu'un salarié signale des faits de harcèlement ou de discrimination, l'employeur est tenu d'agir promptement, donc si les faits sont trop anciens et n'ont pas été signalés, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir agi.
Cette obligation découle des articles L1152-4 et L1153-6 du Code du travail, qui impose à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral et sexuel, et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui impose de façon quasi systématique le déclenchement d'une enquête (cass soc 6 février 2013 n° 11-26.803), sauf si l'employeur a pu prendre des mesures immédiates et suffisantes pour préserver la santé et la sécurité du salarié (cass soc 12 juin 2024 n° 23-13.975).
Si la dénonciation émane d'un membre du comité social et économique (CSE), dans le cadre du droit d'alerte, l'enquête doit être déclenchée sans délai. L'auteur du signalement ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi.
En premier lieu, il est conseillé d'accuser réception de la demande et de solliciter des compléments d'informations au salarié ayant porté à sa connaissance des faits litigieux, notamment si les faits ne semblent pas caractériser une situation de harcèlement.
Attention à ne pas laisser passer une utilisation dévoyée du mot harcèlement, qui est une infraction pénale pouvant entraîner une peine de prison !
Ensuite, il faut donner une information écrite sur les procédures de traitement qui vont être mises en œuvre en référence à la charte de l'entreprise, si elle existe (c'est mieux !).
À ce stade, il peut aussi être proposé une médiation, en privilégiant un médiateur extérieur à l'entreprise.
L'ouverture de l'enquête interne : principes directeurs
L'enquête interne doit respecter plusieurs principes essentiels :
• Confidentialité : les informations recueillies doivent être traitées de manière confidentielle pour protéger les parties impliquées et éviter le risque de diffamation.
• Impartialité : l'enquêteur doit être indépendant et objectif, sans conflit d'intérêts, privilégier deux personnes au moins pour les auditions (par exemple une commission mise en place par le CSE, le service RH avec un élu, un cabinet d'avocat et un consultant spécialisé en risques psychosociaux).
• Célérité : l'enquête doit être menée dans les plus brefs délais pour éviter toute prolongation de la situation problématique.
• Respect des droits de la défense : la personne mise en cause doit être informée des faits qui lui sont reprochés et avoir la possibilité de se défendre, mais attention, une enquête interne n'est pas une audition de police !
La méthodologie de l'enquête interne
La décision-cadre du Défenseur des droits propose une méthodologie en plusieurs étapes pour assurer la rigueur de l'enquête :
• Recueil du signalement : identifier clairement les faits allégués et les parties concernées et recueillir les preuves matérielles (photos, SMS,
mails...).
• Instruction : auditionner les personnes impliquées et les témoins avec des questions ouvertes, rédiger les procès-verbaux des auditions en temps réel pour les faire relire et signer.
• Analyse : évaluer la crédibilité des éléments recueillis et déterminer si les faits sont constitutifs de harcèlement ou de discrimination.
• Établissement d'un rapport d'enquête incontestable : il constituera une preuve essentielle dans le contentieux, mais sa validité risque d'être contestée. Il doit reprendre tout le déroulé de l'enquête et conclure sur ce qui relève de la qualification de harcèlement.
Ce rapport n'est communiqué qu'à l'employeur. Par contre, il faut informer la victime et la personne mise en cause des résultats de l'enquête.
Les suites de l'enquête : mesures et sanctions
Si l'enquête conclut à l'existence de faits de harcèlement, l'employeur doit prendre des mesures appropriées qui peuvent aller jusqu'au licenciement pour faute grave.
Il s'agit aussi de mettre en place des mesures de protection, comme le changement de service et l'aménagement du poste de travail, pour protéger la victime présumée, notamment si les faits ne sont pas avérés et qu'il faut éviter la répétition d'un malentendu qui pourrait dégénérer.
Il faut par ailleurs informer le CSE des résultats de l'enquête (confidentiel) et proposer des actions.
La prévention : un axe stratégique
Au-delà de la gestion des signalements, l'employeur doit mettre en place des actions de prévention pour éviter la survenance de tels faits.
Il est recommandé de renforcer les dispositifs de signalement et d'informer régulièrement les salariés des dispositifs existants.
Il s'agit aussi de sensibiliser les managers et les représentants du personnel aux enjeux du harcèlement et de la discrimination ou encore de mettre en place des indicateurs pour mesurer l'efficacité des actions de prévention.
Conclusion
En définitive, l'enquête interne doit être conçue comme un outil pour l'employeur lui permettant d'assurer l'effectivité de son obligation de santé et sécurité vis-à -vis de l'ensemble des salariés.
Une enquête mal menée peut aggraver le climat social. II peut être intéressant pour les instances RH, souvent en conflit d'intérêts, de recourir, pour diligenter les enquêtes, à des prestataires externes, dont les cabinets d'avocats en droit social, qui s'appuient sur leur connaissance de la qualification juridique des faits et une déontologie respectueuse des droits de la défense.

