Ce n'est qu'un au revoir…

22 tours et puis s’en vont : les 38e Rugissants tirent leur révérence, avec une ultime édition fidèle à sa ligne conductrice de découvertes sonores exigeantes. Mais ses maîtres d’œuvre ont un point commun avec Terminator – eux aussi, they’ll be back. François Cau

Depuis 1989, le créneau de la manifestation est resté inflexible : offrir un aperçu des évolutions de la musique contemporaine. Aux petits malins qui s’imaginent que le terme englobe toute la création sonore d’aujourd’hui et peut ainsi accueillir en son sein aussi bien Jay-Z que David Guetta, mettons le holà tout de suite : par musique contemporaine, on entend, pour résumer, tous les courants artistiques qui concentrent leurs recherches en dehors des mélodies et harmonies – donc David, tu es gentil, tu recoiffes ta mèche rebelle, et tu rentres bosser tes gammes. Merci. Regroupées sous le peu avenant vocable de “musique savante“, ces différentes disciplines sonores s’émancipent sous un délicat paradoxe, qui les rendent peu amènes du grand public : d’un certain point de vue, cette acception de la matière musicale offre des pans vertigineux de liberté, d’ouverture à des esthétiques jusqu’alors peu visitées, en dehors de toutes les normes préétablies (et donc rassurantes) ; mais d’autre part, ces recherches se targuent d’une approche rigoureuse, parfois quasi scientifique du médium musical, où la temporalité, la modalité et la rythmique sont explorées, triturées voire torturées, bien souvent à l’aide d’instruments peu conventionnels (on y trouve notamment les pionniers de la musique électronique). Forcément, dans nos sociétés du spectacle où les formes doivent nécessairement rentrer dans des cases imposées pour pouvoir espérer toucher le plus grand nombre, ce genre de démarche fait peur.Envers et contre tout
Et de fait, l’image des 38e Rugissants, tributaire du peu d’aura dont bénéficie la musique contemporaine, est donc restée, depuis ses débuts, celle d’une manifestation élitiste, circonscrite dans bon nombre d’inconscients à des représentations autres, excluant le plaisir immédiat, et où exigence rime – de force – avec non-sens. Pour avoir défendu systématiquement l’événement et sa ligne éditoriale (quitte à s’enfoncer à notre tour dans notre réputation d’intellos frustrés et rongés par le mal du spectateur), on s’accordait plutôt à le faire rimer avec insolence. Insolence des formes dans leurs pluralités et leurs croisements, des artistes allant à l’encontre des sonorités attendues, et d’un festival fasciné par les migrations esthétiques et les rencontres entre musiciens des quatre coins du globe – sans jamais forcer quoi que ce soit, en laissant les émulations opérer d’elles-mêmes, les 38e ont donc participé, à leur humble niveau, de façon pragmatique aux évolutions des musiques contemporaines. Une insolence qui consistait, dans ses plus mémorables moments, à mettre l’accent sur des créations au rendu toujours surprenant, à la poésie unique, parfois en investissant l’espace public de façons incroyables, qui d’un concert subaquatique dans une piscine, qui d’un improbable mais halluciné rassemblement des carillons municipaux, qui de chants d’oiseaux venus de toute la planète dans le nid douillet du Muséum… Sans oublier un nombre conséquent de spectacles interdisciplinaires, pour la plupart montés avant que ce terme ne devienne celui qui brûle les lèvres de tous les programmateurs nationaux. Une page se tourne
Pour leur 22e et ultime édition, les 38e Rugissants bouclent la boucle avec une programmation que ses contempteurs qualifieront de toujours aussi pointue, mais dont les observateurs un rien plus attentifs témoigneront de la cohérence avec les précédentes (rendez-vous en pages intérieures pour en savoir plus). Avec des découvertes musicales internationales que nous n’aurions jamais pu voir autrement, des formes atypiques, et le retour du grand Adama Dramé pour la soirée de clôture qui sonnera le glas du festival en l’état. Mais à peine cette aventure terminée, et une autre commencera pour l’équipe des 38e Rugissants, qui rejoint celle du (également défunt, du coup) Grenoble Jazz Festival pour l’élaboration d’un festival concocté en commun, Les Détours de Babel, dont la première édition se tiendra du 8 au 23 avril prochain. Pour avoir eu un regard affûté sur la programmation, dont on ne peut rien dire sous peine de se faire couper nos phalanges préférées, on peut cependant vous dire que ce nouvel événement est grandement fidèle à la mission cruciale de découvertes sonores et artistiques qui fut celle des 38e. Donc contrairement aux apparences, cet article n’est pas une nécrologie, mais l’annonce d’une résurrection ! Les 38e Rugissants
Du 16 au 27 novembre, lieux divers.
Détail de la programmation en pages agenda et sur www.38rugissants.com

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