« J'ai besoin de me tourner vers le passé. Il m'attire naturellement, il m'intéresse. Le philosophe George Steiner décrit la famille des "Antigone", cette catégorie de gens qui se soucient du passé et entendent donner une sépulture aux disparus. À ma façon, je suis un rejeton de cette famille. » Extraite d'une discussion menée avec Jacques Tardi sous le patronage du magazine Kaboom, cette confession d'Emmanuel Guibert en dit long sur le travail de ce dessinateur qui, après une prometteuse incursion dans le fantastique (La Fille du professeur, sur un scénario de Joann Sfar) n'a rien moins que donné ses lettres de noblesse au reportage BD.
D'abord avec La Guerre d'Alan et sa récente "préquelle", L'Enfance d'Alan, subtiles et limpides mises en images des souvenirs d'un ancien GI avec lequel Guibert a conduit des heures et des heures d'entretien – jusqu'à se lier d'amitié avec lui. Ensuite et surtout avec Le Photographe, une toute aussi subtile et limpide reconstitution du périple afghan du défunt photo-reporter Didier Lefèvre.
Le travail d'Emmanuel Guibert est d'autant plus essentiel que, comme celui de l'Américain Joe Sacco, il tend à recrédibiliser un champ journalistique de plus en plus asservi aux retweets, comme l'illustre le succès du mook d'information XXI (et la mise en chantier de la Revue dessinée, dont le premier numéro paraîtra en septembre), dont il est d'ailleurs, dans son style très personnel à la croisée de la ligne claire et du dessin d'observation, l'un des contributeurs.
Benjamin Mialot
Emmanuel Guibert, samedi 27 avril à partir de 14h30, à Momie Folie (librairie spécialisée en bande dessinée)