En mettant ses mutants aux prises avec le premier d'entre eux, Apocalypse, Bryan Singer boucle une seconde trilogie des X-Men épique. Et montre que, de tous les réalisateurs de productions Marvel déferlant sur les écrans ces temps-ci, c'est bien lui le patron.
Lorsqu'une franchise achemine sur les écrans son huitième opus en seize années d'existence, le plus docile et bienveillant des spectateurs est fondé à émettre quelques inquiétudes quant à la pertinence du film. Heureusement, il existe des exceptions ; des sagas parvenant à coups de rebondissements intrinsèques à dépasser le stade de la “suite” et de la resucée, sachant se réinventer ou créer une singularité – James Bond en est un parangon.
Dans le vaste univers Marvel (en expansion continue), la tradition (du tiroir-caisse) impose à une série de se développer par ramifications autour de ses personnages-phares, puis de faire tabula rasa en lançant un reboot... tout en s'affadissant. Sauf pour X-Men, îlot d'exception dans un océan tanguant vers les rivages du morne ordinaire. Oh, cela ne signifie pas que l'ensemble de l'octalogie mérite d'être portée aux nues (un ventre mou modelé par Brett Rattner et Gavin Hood la plombe), mais elle présente, outre sa remarquable longévité, une capacité à absorber ses propres spin-off (Wolverine) et reboots (Days of Future Past) pour les fondre dans une masse paradoxalement homogène.
Et si, face à X-Men : Apocalypse, on a l'impression d'une continuité qualitative, d'une réelle cohérence artistique, c'est sans doute parce qu'il y a au scénario et derrière la caméra celui qui officiait déjà au lancement du premier volet en 2000, Bryan Singer.
Les X-Men plus forts que Captain America !
Loin de considérer les X-Men comme un filon d'adamantium s'exploitant jusqu'à épuisement, le cinéaste a pensé en profondeur la franchise. Depuis qu'il l'a reprise en mains en 2011 en co-écrivant et produisant X-Men : Le Commencement, il accomplit ce que Richard Donner, Tim Burton ou Sam Raimi ont fait avec Superman, Batman et Spider-Man avant lui : percevoir dans les super-héros autre chose que des gens en collants, dont les aventures pouvaient inspirer un matériau narratif audiovisuel en rupture avec le tout-venant, mais sans tout sacrifier au spectaculaire pur. Une authentique vision de réalisateur, hélas trop peu partagée.
Pour s'en convaincre, il suffit de comparer ce X-Men avec une autre adaptation de comics Marvel sortie il y a peu, l'épouvantable Captain America : Civil War de Anthony et Joe Russo. Semblant suivre la doctrine Michael “Transformers” Bay, les deux abominables précités privilégient des enchaînements de combats interminables et des punchlines faisandées, au détriment d'une intrigue solide. Tourné pour Disney, désormais propriétaire de la marque Marvel, leur film n'arrive pas au pneu du Professeur Xavier – lequel, avec les X-Men, résiste encore (pour combien de temps) chez Fox à l'irrésistible et inéluctable absorption par la firme de Burbank. Même Sony a dû se résoudre à laisser filer son tisseur de toiles pour une apparition en forme d'énième reboot (dans Captain America, justement) qui crétinise le personnage en le renfermant dans une sphère régressive.
Humains, après tout
A contrario, Singer s'applique à déniaiser ses héros, en les plaçant face à une conception du monde plus abrupte. Il creuse leurs failles ; va rechercher l'humain dans les mutants plutôt qu'érotiser à outrance la démonstration de leurs pouvoirs hors normes. Magnéto et Xavier vont souffrir, (re)vivre des traumatismes, éprouver l'injustice de la perte pour apprendre à la surmonter – les Avengers ne sont pas près d'arriver à ce degré de subtilité philosophique, trop occupés à se mettre des peignées surhumaines.
Le mutant chez Singer n'a pas uniquement à se placer face au non-mutant : il doit se positionner en fonction de sa conscience et de son passé, dans l'épaisseur de son être. Son rapport au temps, à la mise en perspective de l'Histoire (et de sa propre histoire), constitue la base de la seconde trilogie X-Men. Singer continue à s'inspirer de la chronologie humaine pour étayer son uchronie mutante, trouvant dans chaque fait avéré un interstice permettant de poursuivre son récit parallèle avec une certaine logique : ici, après l'évocation de la Seconde Guerre mondiale et celle du Viêt Nam, c'est au tour de la Guerre des Étoiles (correspondant à la période de tension maximale entre les États-Unis et l'URSS en 1984) de servir de toile de fond.
Collant à ce point à notre réalité, Singer insiste pour lier les mutants à la communauté humaine, les intégrant de fait, abolissant donc toute déification de ses héros. Là encore, il demeure bien le seul dans sa catégorie...
X-Men : Apocalypse de Bryan Singer (E.-U., 2h23) James McAvoy, Michael Fassbender, Jennifer Lawrence...