Service public / Gratuité, aménagements, extension d'horaires : le plan de la ville de Grenoble pour les bibliothèques a été annoncé en pointillés, depuis 2019. Point d'orgue en novembre dernier, la construction d'une nouvelle infrastructure centrale à Chavant, et un jeu de chaises musicales pour la remplir sans augmenter l'effectif. On fait le point sur le projet municipal.
Quatre ans après la fin des travaux de rénovation de la Bibliothèque d'étude et de patrimoine (1, 5 million d'euros), un nouveau et plus gros chantier s'annonce à Chavant : la construction d'une bibliothèque centrale place Valentin-Haüy (là où se trouve actuellement un parking, entre la BEP et le Totem), accolée à la BEP, pour créer un pôle culturel central de Grenoble. Le projet de l'adjointe aux Cultures d'Éric Piolle, Lucille Lheureux, est de créer davantage qu'une bibliothèque : un « lieu de vie » et de « convivialité », avec notamment un café, des jeux de société et jeux vidéo, un espace enfants, des expositions... On parle même de la possibilité d'y faire la sieste ! « Un élargissement de l'offre pour que la bibliothèque soit un lieu dans lequel on peut passer un temps long », commentait l'élue lors du dernier conseil municipal de l'année, le 12 décembre. « Aujourd'hui, la bibliothèque se réinvente. Ce n'est plus seulement un endroit de lecture. On y vient pour accéder à internet, pour assister à des conférences, pour travailler. Certains y viennent aussi pour se réchauffer, le cœur comme le corps », observait avec un certain lyrisme le maire de Grenoble, lors de la présentation à la presse du projet de cette nouvelle bibliothèque dite "tête de réseau", en novembre.
Chaises musicales
5000 mètres carrés de plus pour la lecture publique, mais pas d'embauche. La Ville prépare un jeu de chaises musicales avec les bibliothèques existantes. Ainsi, une partie du personnel de Kateb-Yacine partira à Chavant, les espaces gagnés à Grand Place étant réservés à des usages artistiques. La bibliothèque Centre-Ville, à la Maison du tourisme, sera vidée pour un déménagement complet dans la nouvelle structure. Pour l'instant, on ignore ce qu'il adviendra des locaux libérés dans ce bâtiment métropolitain, dont la position est idéale, contrairement à l'esthétique. Enfin, la bibliothèque du Jardin de ville partira aussi à Chavant, et ses locaux seront attribués à la seule bibliothèque internationale. En conseil municipal, l'opposition a bien sûr soulevé des questions, notamment sur l'offre jeunesse et enfance en centre-ville, qui ne sera disponible qu'à Chavant. Balayée par la majorité, qui rappelle que c'est un lieu facilement accessible à pied et très bien desservi par les transports en commun.
Une réorganisation aussi dans les équipes, puisque les horaires d'ouverture ont été élargis début novembre dans les bibliothèques de quartier, toujours sans augmenter l'effectif. Cinq d'entre elles sont ouvertes 7 ou 8 heures de plus par semaine (Abbaye-les-Bains, Eaux-Claires Mistral, Saint-Bruno, Teisseire-Malherbe et Arlequin). Deux autres augmentent également leurs plages horaires de 5 à 6 heures supplémentaires (Centre-Ville et Kateb-Yacine). Accueillir les usagers plus tôt le matin, plus tard le soir, plus longtemps le week-end : la grande bibliothèque de Chavant ouvrira même le dimanche. Une première !
Faciliter le premier pas
C'est la marotte de Lucille Lheureux : faire venir davantage de monde dans les équipements culturels de la Ville, en particulier les publics dits cible que sont les jeunes enfants, les adolescents et les personnes les plus précaires. Côté lecture, cela se traduit en particulier, depuis trois ans maintenant, par la gratuité de l'emprunt dans les bibliothèques grenobloises – y compris des œuvres de l'artothèque –, même pour les usagers qui n'habitent pas à Grenoble.
Si l'offre de lecture publique à Grenoble est l'une des plus denses de France, la fréquentation y est, selon une étude de 2019, plus faible qu'ailleurs, et trop limitée à un public de lecteurs assidus. Depuis, la gratuité a permis une hausse des abonnements, même si la période Covid a brouillé tout ça. Objectif numéro 1 de l'adjointe aux Cultures : convaincre les non-usagers à pousser les portes des bibliothèques grâce à des réaménagements.
Ainsi, en plus de la réorganisation mentionnée plus haut, des travaux sont prévus dans plusieurs bibliothèques. Celle de l'Arlequin, par exemple, doit être plus ouverte sur le grand parc Jean-Verlhac, pour faciliter le premier pas. Même chose à Saint-Bruno, pour une meilleure communication avec la vivante place du même nom. « Un réaménagement de la bibliothèque des Eaux-Claires est aussi indispensable car les espaces actuels sont compliqués à utiliser », indiquait Lucille Lheureux en novembre. Celle-ci déménagera au Plateau – qui fait l'objet de tensions depuis quelques semaines entre la majorité et les associations qui l'occupent, mais c'est une autre histoire. Pour l'ensemble de ces travaux, le calendrier s'étale entre 2023 et 2025. La grande bibliothèque de Chavant doit voir le jour, elle, en 2027. Le plan bibliothèque dans son intégralité, financé à 40% par l'État, est chiffré à 20 millions d'euros.
Précaution de mise
Les bibliothèques municipales, durant le premier mandat d'Éric Piolle, avaient été l'un des points noirs de sa politique culturelle, avec la fermeture de structures de proximité en 2016. Dans un objectif d'économies – l'annonce était intégrée à un "plan de sauvegarde des services publics locaux"– plus ou moins assumé, le projet étant requalifié en "plan de refondation" pour faire mieux fonctionner les onze bibliothèques restantes. Plus récemment, en 2021, l'année a été marquée par des grèves et des manifestations très suivies de la part des agents, qui exprimaient leur refus d'appliquer le contrôle du passe sanitaire à l'entrée des bibliothèques et s'indignaient de ce que certains d'entre eux aient été convoqués en mairie pour rappel à l'ordre à ce sujet.
Ayant été cœur d'une crispation entre le milieu culturel grenoblois et la majorité EELV, les bibliothèques municipales restent un totem délicat à manier ; dans sa délibération cadre de politique culturelle, l'élue aux Cultures les identifie comme « porte d'entrée principale de la politique culturelle », « première marche ». Les chiffres de fréquentation diront si cette transformation au long cours porte ses fruits.