20 ans en 68

Entretien / Michel Chomarat est chargé de mission «Mémoire» à la Ville de Lyon, fondateur des Assises de la mémoire Gay et Lesbienne et du Centre de ressources documentaires gays et lesbiennes à la Bibliothèque Municipale de Lyon. En 1968, il avait 20 ans. Il a accepté d'évoquer ses souvenirs de vie nocturne.Propos recueillis par Dorotée Aznar

Petit Bulletin : Vous aviez 20 ans en 1968. À quoi ressemblait la vie nocturne à cette époque ?
Michel Chomarat : Il y avait un côté provincial absolument terrifiant à Lyon, donc pas de vie la nuit. Lyon était une ville ouvrière, qui n'avait ni le temps ni l'esprit à la fête. Les années 60, c'est l'époque du travail aux cadences infernales, mon père qui était ouvrier faisait des semaines hallucinantes ! Et c'est d'ailleurs l'une des racines du mouvement de 68... On ne faisait pas la fête et cela n'était pas propre à la classe ouvrière. La bourgeoisie était très discrète et ne s'affichait pas. Éventuellement, elle s'encanaillait à la Foire de Lyon, mais rien de plus...
En fait, c'était la préhistoire ! Les femmes ne travaillaient pas, la majorité était fixée à 21 ans, il n'y avait qu'une seule chaîne de télévision aux allures soviétiques et en sortant la nuit on avait toujours peur de croiser son voisin, son patron, de perdre son travail... On ne peut donc pas parler d'une nuit structurée, la nuit était d'une pauvreté qui explique que beaucoup de jeunes, et de jeunes gays surtout passaient par l'étape du voyage à Paris où l'offre de lieux était un peu plus importante même si, là aussi, on se voyait réduit à devoir choisir entre quelques endroits plus ou moins sordides. Y avait-il une mixité dans les établissements de nuit, hommes, femmes, hétéros, gays ?
Non, il n'y avait absolument aucune mixité dans les lieux de sorties. Le seul point de convergence entre gays et hétéros, c'était les soirées travesties, organisées dans des établissements hétéros. Cela permettait à certains gays de se mêler aux autres et de rencontrer d'autres homos. Pour moi, c'était difficile de me reconnaître dans des spectacles pour hétéros en goguette...Comment viviez-vous cette «clandestinité» au quotidien ?
En 1968, on était sous les lois de Vichy, les pressions religieuses et policières étaient énormes et les gays étaient considérés comme des malades mentaux et souvent assimilés à des prostitués. Nous étions fichés et recherchés par la police. L'homophobie et la violence étaient la règle, en sortant la nuit on devait à la fois craindre les casseurs de pédés et la police. Ce que l'on peut voir aujourd'hui dans le 1er arrondissement à Lyon par exemple, était tout bonnement inimaginable. Les seuls espaces de sociabilité, c'était les lieux publics ; les parcs, les jardins, les pissotières...
Avec les risques et l'excitation que cela comportait. À terme, cette clandestinité s'est transformée en révolte.Certains lieux de nuit ont-ils survécu, certains existent-ils toujours ?
À l'époque comme aujourd'hui, il y avait un turn-over énorme. Les lieux de vie nocturne étaient tenus par des gens louches, les patrons avaient un pied dans la pègre et un pied dans la police. C'est sûr que cela change de la nuit actuelle et du milieu gay, que je trouve aseptisé.Quels sont les lieux nocturnes qui ont marqué votre jeunesse ?
Il y avait le Tampico, l'un des rares bars homo situé rue Sébastien Gryphe, la Petite Taverne, rue René Leynaud, le Miller, quai Pierre Scize ou le restaurant Les Feuillants, rue des Feuillants qui existe toujours d'ailleurs. C'est étonnant car les tenanciers de ces établissements affichaient souvent un grand mépris pou leur clientèle. La propriétaire du Tampico par exemple a publié un livre sous pseudonyme «Les Passions acquises, quand le troisième sexe n'a pas de légende» où elle décrit avec ses clients comme un ramassis de déséquilibrés mentaux...
Dans ces années-là, personne n'a eu l'idée de créer un établissement vraiment gay. On permettait certaines choses, mais il ne fallait pas aller au-delà !

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