Blog : Cannes, jour 7 : Indépendances américaines

Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Mon bonheur de Sergei Loznitza. Two gates of sleep d’Alistair Banks Griffin. The Myth of the Americain sleepover de David Robert Mitchell. Blue Valentine de Derek Cianfrance.

 Ça devient monotone de le répéter quotidiennement mais ça ne s'arrange pas en compétition. Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, troisième film français à concourir pour la Palme, a fait l'effet d'une douche glacée au réveil. Relatant l'enlèvement puis le massacre des Moines de Tibéhirine dans les montagnes de l'Atlas, le film se calque sur le rythme de la vie monastique, multipliant les plans tableaux, les rituels et les cantiques, Beauvois étant autant fasciné par le religieux que par l’humain, abandonnant tout point de vue sur son histoire au profit d'une contestable quête du sacré et du sacrifice au Christ. Cela passe aussi par de longues scènes de dialogue où chaque moine exprime son sentiment sur la situation, ses doutes et sa foi, jusqu'au vote final pour savoir s'il faut partir ou rester. La dialectique voulue est annulée par le côté panel des personnages qui ressemble à une énorme facilité d'écriture. L'académisme du film éclate lors des intrusions des terroristes et de l'armée algérienne, puisque Beauvois abandonne ses cadres fixes pour la caméra à l'épaule, soulignant assez pauvrement l'arrivée du désordre et de la menace au sein d'une harmonie déjà lourdement appuyée. Voilà encore un film en parfaite symbiose avec la tonalité de ce Cannes 2010 : en quête de sens, de spiritualité et de réconfort dans un monde en crise, au prix d’une austérité franchement rebutante.

My joy de Sergei Loznitsa faisait figure d’invité surprise de la compétition : un premier film ukrainien dont on ne savait rien, cela suscitait une légitime curiosité. Là encore, grosse déception à l’arrivée. Si le cinéaste démontre un réel sens de la mise en scène, notamment pour construire d’étranges gags noirs à retardement, on ne louera pas ses qualités de raconteur d’histoire. Le film est construit comme une ronde de personnages le long d’une route perdue et d’un village archaïque, avec quelques décrochages temporels renvoyant à la période soviétique. Parfois, il faut suivre les rimes scénaristiques créées par Loznitsa pour comprendre où il veut en venir ; à d’autres moments, il faut déchiffrer le récit-rébus qu’il nous propose. Quand on a à peu près pigé le mode d’emploi du film, il faut maintenant décrypter son propos. Ce qu’on a compris ? De l’Ukraine sous emprise soviétique aux ingérence russes d’aujourd’hui, c’est la même corruption, la même violence, la même impunité dans le vol et la négation de l’humanité. Mais on n’est pas trop sûr de cette lecture quand même… De toute façon, My joy est tellement complexe qu’il liquide les neurones, et on est sorti lessivé de ces deux heures sans fin.

S’il n’y a qu’un seul film américain en compétition officielle (Fair game de Doug Liman, présenté ce jeudi), le cinéma US est bien présent à Cannes dans les sections parallèles. Ces deux derniers jours, on a même fait un tour complet du cinoche indé américain en trois (premiers) films très différents mais reflétant assez bien l’état actuel de la production. Two gates of sleep d’Alistair Banks Griffin (Quinzaine des réalisateurs) est un pénible film contemplatif, certes époustouflant de beauté visuelle, mais pathétique dans la maigreur de son récit et la pauvreté de son discours. Deux frères vivent dans une forêt avec leur mère malade. Quand elle décède, ils décident d’aller l’enterrer au pied de l’arbre qu’elle aimait. Pas de bol pour le spectateur, l’arbre est à chaille, et il va falloir se farcir tout le parcours, dans les bois, dans la forêt, sur la rivière, et à nouveau dans la forêt. Heureusement, Griffin nous épargne le trajet retour… Un peu Malick, beaucoup Gerry, Two gates of sleep est d’une immodestie et d’une immaturité irritantes. Le film ne fait qu’une heure quinze, mais le cinéaste se regarde tellement filmer qu’on a le sentiment qu’il dure trois plombes.

Plus intéressant, The Myth of the American sleepover de David Robert Mitchell (Semaine de la critique) revisite le teen movie en version nostalgique et ouatée, le temps d’une nuit où une bande de lycéennes (craquantes) organisent une soirée pyjama (traduction possible de «sleepover») pendant que les mecs s’éparpillent dans des fêtes nettement moins codifiées. Les affinités se créent, les désirs se dévoilent, les corps se rapprochent, se cherchent, s’éloignent jusqu’à l’aube mélancolique. C’est assez joli, plein de tact, mais ça manque aussi un peu de tranchant et de fantaisie. Un film nettement plus mainstream, Adventureland de Gregg Motola, avait curieusement plus d’audace. Ici, on reste dans les clous du cinéma d’auteur à la sauce américaine, ce qui n’est pas déplaisant du tout, mais pas franchement inoubliable.

Produit par la Weinstein Company, Blue Valentine de Derek Cianfrance (Un certain regard) a beaucoup de défauts, mais aussi de réelles qualités de cinéma. Le film se pose comme une version contemporaine et indé des Noces rebelles : on nous raconte à rebours la vie d’un couple au bord de l’explosion. Ryan Gossling et Michelle Williams se sont enlaidis pour jouer les époux au crépuscule de leur histoire, mais c’est pour mieux retrouver leur glamour quand le film raconte leur rencontre et le début de leur amour. Cianfrance montre que cet amour n’a en fait jamais été qu’un arrangement, un concours de circonstances qui sortait l’une d’une mauvaise passe et offrait à l’autre la perspective d’une vie simple et rangée. Cela rend d’autant plus douloureuse la séparation, et confère aux scènes de ménage une authentique cruauté. Signalons que la bande originale est d’ores et déjà la meilleure du festival, puisqu’elle est signée par les excellents new-yorkais de Grizzly Bear, qui ont composé de nouveaux morceaux spécialement pour le film et qui confirment qu’ils sont sans doute un des meilleurs groupes de pop en activité.

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