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La contre-culture dans les Waters
Par Christophe Chabert
Publié Jeudi 1 mars 2012

Photo : © JW Stairwell
Connu pour son sens du mauvais goût, John Waters a enfin droit à l’hommage qu’il mérite avec une rétrospective de son œuvre au cours du festival Écrans mixtes. Où la question du cinéma gay sera déclinée à travers des films aussi divers que passionnants. Textes : Christophe Chabert
Il fut un temps (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, même s’ils ont téléchargé comme des malades sur Megaupload) où le cinéma avait une fonction subversive. Si, si… Une époque où des cinéastes se contrefoutaient de tourner avec quatre dollars cinquante, persuadés que cette contrainte-là leur autorisait toutes les libertés. Mieux encore : leur marginalité leur permettait de s’adresser directement aux vrais marginaux, quand ils ne les montraient pas sur l’écran. Et, cerise sur le gâteau, leurs films faisaient figure de gros fuck lancé à la face du cinéma commercial, dont ils n’hésitaient pas à détourner dans une version underground et satirique les pires clichés. Leur pape s’appelait John Waters et derrière son élégance (costard impeccable et moustache finement taillée) se cachait un sens admirable du mauvais goût et de la vulgarité. Un gentleman punk — et gay.
Divine mais dangereuse
La réputation de John Waters commence avec son troisième long-métrage, Pink flamingos (1972) qui va devenir un classique des Midnight movies, ces films diffusés le week-end à minuit mais qui tiennent l’affiche pendant des années. Cela fait huit ans qu’il fait du cinéma, mais ce film-là va forger le style Waters. L’histoire est typiquement américaine : une mère de famille veut à tout prix conserver le titre qu’elle a chèrement acquis et que ses voisins lui dispute… Sauf que ladite mère de famille vit dans une caravane avec sa mère, une amie et son fils, et que sa réputation est celle de la personne la plus crade des États-Unis. Pour enfoncer le clou, Waters fait jouer Babs Johnson par… un homme ! En l’occurrence un travesti qui se fait appeler Divine, et qui sera la muse du cinéaste jusqu’à sa mort prématurée en 1988 à l’âge de 43 ans. Divine a cela d’exceptionnel qu’il/elle ne joue jamais au second degré les situations les plus dégoûtantes et grotesques qui soient. Divine traverse certains films de Waters comme si elle tournait dans un mélodrame de Douglas Sirk, et seul son physique transgenre crée une distance et ramène de l’improbable à l’écran. À la fin de Pink flamingos, elle mange de la merde de chien, pour de vrai. Et elle adresse un gros clin d’œil à la caméra… Le mythe John Waters est lancé…
Un lointain idéal
Dans les films suivants, Divine prolongera cette incarnation monstrueuse de la femme américaine modèle, épouse délaissée, mère accablée, ménagère débordée… Les excès de Female trouble, Desperate living et Polyester semblent glisser sur elle, comme si tout cela n’était que le quotidien ; quand elle se rebiffe et va jusqu’au crime, c’est pour retrouver un peu de sa dignité perdue et regagner un semblant d’indépendance. Divine incarne le cinéma de Waters dans tous ses stimulants paradoxes : on rit beaucoup, mais il y a toujours un fond de pathétique et de tendresse caché dans l’outrance ; la photo est sale, le grain du 16 mm en lumière naturelle est énorme, mais on y trouve aussi un goût fort raffiné pour les costumes et les couleurs ; le propos est transgressif à souhait, mais les personnages recherchent la normalité et le confort dont ils sont privés. L’exemple le plus frappant reste Polyester : Waters le propose en odorama (on doit gratter une planche façon Française des jeux, qui pue la vieille chaussette et le pet), mais c’est sans son film le plus proche des schémas du cinéma classique. Après lui, le cinéaste ne pouvait que franchir le pas et se rapprocher de l’industrie.
Coup de pied au culte
Même doté de budgets plus confortables et parfois de stars à ses génériques (Johnny Depp dans Cry baby, Kathleen Turner dans Serial mother), Waters ne vendra jamais son âme. Au contraire, ses films continuent d’accueillir tous les hors-la-loi de l’establishment, que ce soit la hardeuse cynique Tracy Lords ou la kidnappée devenue terroriste Patty Hearst. Il va jusqu’à s’offrir un véritable pamphlet avec le mineur Cecil B. Demented, où un cinéaste indépendant extrémiste et sa secte forcent une actrice hollywoodienne à jouer dans leur dernière production. On lui préfère toutefois un superbe autoportrait (hélas non programmé dans cette rétrospective) : Pecker. Le jeune garçon de Baltimore qui prend pour le plaisir des photos de sa famille de freaks avant de devenir la nouvelle coqueluche du monde de l’art, c’est le cinéaste lui-même : il a d’abord filmé les gens qu’il aimait et qu’on ne montrait jamais, avant que cette contre-culture ne soit avalée par la culture dominante. Revoir Waters aujourd’hui, c’est faire revivre ce moment où la provocation n’était pas une mode, juste une manière d’exister.
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