Entretien / Autrice et illustratrice d'une trentaine d'albums, récompensée par de nombreux prix, Isabelle Simler est l'artiste associée de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne, pour laquelle elle a animé une résidence avec le groupe scolaire Jean Zay et réalisé une exposition. Rencontre.
Le Petit Bulletin : Quelles sont les particularités et les enjeux quand on s'adresse aux enfants ?
Isabelle Simler : Dans l'édition jeunesse en général il y a une vraie liberté de création. Avec mon éditeur de cœur, Courtes et longues, je peux construire, tirer un fil d'un livre à l'autre, me sentir à la fois accompagnée et libre. Les enfants sont un super public ! Très ouverts d'esprit, sans à priori, ils ont une lecture de l'image très ouverte. C'est un public curieux. Mais je n'ai pas le sentiment d'adresser mes livres qu'aux enfants. Parce que l'album jeunesse est un objet particulier, souvent partagé entre un enfant et un adulte. Finalement, il y a presque autant d'adultes que d'enfants qui lisent les albums. Ce moment partagé autour d'un objet me plaît, et j'aime l'idée que les adultes s'y retrouvent aussi donc je m'adresse au lecteur en général, sans déterminer d'âge.
Ça m'intéresse vraiment de rencontrer le public pour voir comment il s'approprie le livre. Le livre fait son chemin, et parfois, c'est étonnant. Par exemple, j'ai beaucoup utilisé Plume en crèche avec les tout petits, mais il y a aussi des plus grands qui ont envie de dessiner des plumes, des adultes qui s'intéressent aux oiseaux... [Plume est un album paru en 2012 aux éditions Courtes et longues et primé par le New York Times en tant qu'un des 10 meilleurs albums de l'année ndlr.]
LPB : Pourquoi la nature et les animaux sont-ils votre principale source d'inspiration ?
IS : J'aime dessiner le vivant de manière générale. J'ai une démarche naturaliste, je n'invente pas tellement, mais j'aime bien regarder : les formes, les espèces, les textures, j'aime dessiner des détails, des plumes, des poils, le vivant est une diversité très stimulante. Et c'est un bon sujet d'échange avec les enfants, car cela les intéresse beaucoup, c'est infini ! Plus on s'y intéresse, plus c'est vaste.

LPB : C'est aussi une façon d'aborder des sujets comme l'écologie par exemple ?
IS : Dessiner le vivant est déjà une manière d'interroger la place qu'on a par rapport au monde qui nous entoure. Pour dessiner un animal, j'ai besoin de le connaître, de le comprendre. Et pour les enfants, la démarche de faire attention commence par le regard, la curiosité, l'intérêt qu'on porte aux choses. C'est donc au cœur de mon travail, sans que ce soit formulé. Pour Noms d'oiseaux [aux éditions Courtes et longues, 2019 ndlr], j'ai choisi les oiseaux pour leurs noms particuliers, mais la plupart sont en voie de disparition. Quand on dessine le monde animal, c'est présent tout le temps. Dans Maison [2022 ndlr], sur l'habitat des animaux, c'est une question qui est toujours en fond. Mais j'essaie, pour sensibiliser les enfants, de passer plutôt par l'émerveillement, que par un message plombant. Je pense qu'ils sont déjà très sensibilisés, je le vois quand je vais dans les classes, ça peut parfois être lourd à porter. Ils ont conscience de "tout ça". Donc j'ai envie de passer par la beauté, par l'ingéniosité, parce que je pense que si on s'intéresse de près au vivant, on a envie d'en prendre soin.
LPB : Le thème de cette année est “réalité - illusion”. Quels échos cela forme chez vous ?
IS : Le réel est mon point de départ, mais je ne fais pas des livres documentaires, je porte un regard, une approche sensible, une interprétation, et je vais vers la rêverie, l'imaginaire, donc je prends des libertés par rapport au réel. Je suis en permanence entre la réalité et la fiction. Je dessine ce qui existe, j'invente rarement des animaux, des formes, car elles sont dans la nature déjà passionnantes, par contre j'aime les mettre en scène, imaginer un contexte, je ne cherche pas forcément une logique réaliste. C'est ça qui est intéressant dans l'illustration, tout est possible. Par exemple dans L'heure bleue [2015 ndlr], qui est dans l'exposition, je me suis intéressée à ce moment entre le jour et la nuit, j'ai suivi plein d'animaux au moment de "l'heure bleue". Ce sont des animaux qui existent, que j'ai dessiné dans leur contexte, de façon plutôt réaliste, mais à la fin ils se retrouvent tous pour assister au spectacle de la pleine lune. Dans une même image, il y a une pintade de Namibie avec un renard arctique et une baleine bleue : une image impossible en fait. Dans la science, dans la nature, il y a énormément de poésie. Et quand on discute avec les enfants, ce rapport du réel à l'imaginaire est très poreux, ils ne mettent pas vraiment de limite. En plus, quand la Ville de Villeurbanne m'a invitée j'étais en train de travailler sur Alice au pays des merveilles donc c'était dans le thème.
LPB : Vous préparez un livre sur Alice au pays des Merveilles ?
IS : C'est un projet que j'ai commencé depuis un moment donc j'ai pensé que ce serait intéressant de le montrer dans l'exposition. Il sortira en septembre. C'est une sacrée aventure, l'idée n'est pas de faire un roman illustré avec quelques illustrations mais de le traiter comme un album avec beaucoup plus de grandes images. Il va faire plus de 200 pages, c'est un gros projet, passionnant mais complexe.

Fête du livre jeunesse de Villeurbanne
Les 5 et 6 avril à la Maison du Livre, de l'Image et du Son et dans d'autres lieux de Villeurbanne
Merveilles au pays du réel
Exposition d'Isabelle Simler, jusqu'au 19 avril à la Maison du Livre, de l'Image et du Son