Le Dahlia noir
Visiblement peu passionné par le roman de James Ellroy et le fait divers dont il s'inspire, Brian De Palma transforme le Dahlia noir en mélodrame glamour. Audacieux, mais plutôt à côté de la plaque.Christophe Chabert
Le Dahlia noir, le roman de James Ellroy, a fait rêver plus d'un cinéaste. Après de nombreux projets avortés, c'est finalement Brian De Palma, pourtant pas vraiment en odeur de sainteté à Hollywood, qui a eu l'insigne honneur de s'y coller. Dès le départ, l'association Ellroy-De Palma soulevait des craintes, le cinéaste n'étant guère à l'aise avec les best-sellers (souvenons-nous du plantage du Bûcher des vanités). Le début de son adaptation laisse pourtant penser qu'il a trouvé la juste distance avec le bouquin : en quelques séquences ouvertement référencées à l'âge d'or du cinéma hollywoodien (jeu expressionniste, rouge à lèvre technicolor, voix-off désabusée...), De Palma pose un décorum et prend son temps pour développer ses trois personnages principaux. Deux flics, Bucky Bleichert et Lee Blanchard, et une femme forcément fatale, Kay Lace, forment un ménage à trois ambigu fait de camaraderie virile et de désir retenu. Cela donne une belle scène où le cinéma et le mélodrame se mélangent : une projection de L'Homme qui rit où Kay saisit les mains des deux hommes, pendant que De Palma recadre son regard entre joie et effroi. Plus tard, c'est un autre film, bien plus pervers, qui séparera les trois personnages pour de bon.Trop court et pas assez ShortEt Le Dahlia Noir, alors ? Ce fait divers traumatisant où une petite starlette est atrocement massacrée après avoir vasouillé dans le porno clandestin ? Il débarque nonchalamment au bout d'une demi-heure dans un plan tarabiscoté à la De Palma (c'est un des seuls du film, plutôt sage niveau style). Cela en dit beaucoup sur l'attitude du cinéaste, et le reste le confirme : Ellroy, le polar, l'assassinat d'Elizabeth Short, il s'en cogne pas mal. Ce qu'il veut, c'est aller au bout de son mélodrame vintage. On serait prêt à le suivre s'il avait mis toutes les armes de son côté ; mais ni le casting (Eckhart, Johansson, Hartnett et Swank ne sont pas que de très mauvais choix, ils sont aussi passablement à l'ouest), ni l'évocation du L.A. des années 50 ne procurent les frissons attendus. L'érotisme timoré du film, les changements d'humeur abrupts des personnages et surtout la fadeur extrême de leurs échanges intimes achèvent de plomber ce qui aurait pu être une belle diversion. Restait une ultime piste à explorer : celle de la métamorphose des images hollywoodiennes. En situant l'esthétique de son film dans un âge encore vierge (contemporain de l'époque évoquée), et en laissant entrer le ver dans le fruit à même l'écran (le porno clandestin), De Palma aurait pu toucher du doigt ce basculement d'un système et son revers destructeur, tout en s'en préservant comme cinéaste (la référence finale à Sunset Boulevard en serait le gage ultime). Mais même cette théorie-là ne tient pas la pratique d'un film expéditif et bâclé, face auquel on soupire de dépit plus qu'on ne respire le plaisir.Le Dahlia noirde Brian de Palma (ÉU, 2h) avec Josh Hartnett, Aaron Eckhart, Scarlett Johansson...