Une école HBO ?
Véritable courant du cinéma indépendant américain, les réalisateurs sortis des séries télé HBO imposent discrètement un certain réalisme social et psychologique. Preuve cette semaine avec Friends with money.Christophe Chabert
Plus besoin de vanter l'apport majeur des nouvelles séries télé américaines à l'Histoire des images et des récits contemporains. Mais toutes n'ont pas la même visée : entre les divertissements philosophiques de JJ Abrams (Lost, Alias), les relectures du cinéma de genre (Les Sopranos, Deadwood, The Shield), ou les études de caractères (Sex and the city, Six feet under, L Word), les approches sont d'une grande diversité, et c'est bien là une de leurs forces. Conséquence de cette vague déferlante et plurielle : la disparition de "l'auteur" au sens français du terme (le cinéaste) au profit du "créateur" (qui invente le concept puis, en général, réalise le pilote et les épisodes clés). La division des tâches presque taylorienne a tendance à faire du réalisateur l'ultime maillon d'une chaîne dont il n'est ni l'instigateur, ni l'apport décisif, corseté par une bible visuelle qu'il doit respecter à la lettre, ne serait-ce que pour tenir le timing du tournage. Malgré tout, il y a des gens derrière les caméras, et les séries n'étant pas éternelles, ceux-ci se retrouvent avec un joli CV dans la nature cinématographique une fois leur mission accomplie.Les fils de WoodyParmi eux, les réalisateurs des séries HBO (surtout ceux de Sex and the city et Six Feet under) font lentement leur nid sur les écrans. Un petit nid cependant : c'est au sein d'un cinéma indépendant à budget limité qu'ils œuvrent, et aucun film n'a encore rencontré un réel succès public. Mais de Rodrigo Garcia (Ce que je sais d'elle d'un simple regard) à Michael Cuesta (12 and holding) en passant par Miguel Arteta (The Good girl) et Nicole Holofcener (Friends with money), se dessine une véritable école cinématographique avec des points communs évidents : goût du récit choral, de l'étude psychologique socialement ciblée (la classe moyenne), désir de lever en douceur certains tabous, plaisir d'écrire des dialogues et des personnages, funambulisme entre la comédie et le drame, refus de la morale facile... D'ailleurs, si certains cinéastes avaient commencé leur carrière avant d'aller bosser pour HBO (Arteta avait réalisé l'excellent Chuck and Buck, Holofcener avait déjà deux films à son actif), il est évident que leur style s'est affiné au contact de la télé, et qu'ils en ont tiré une certaine manière de raconter leurs histoires. Plus intéressant encore, à la vision de leurs films, on comprend qui est la véritable figure tutélaire du courant : Woody Allen, dont les principes (une idée, un scénario très écrit et une grande vitesse d'exécution) mais aussi le côté "village" (la bourgeoisie intellectuelle new-yorkaise) en font l'inventeur involontaire des séries modernes. Mais on pourrait aussi comparer ses chroniques de mœurs à la démarche de Bacri et Jaoui en France qui, comme par hasard, rencontrent un vrai écho aux Etats-Unis. En tout cas, cette école HBO démontre, contre beaucoup de préjugés critiques, qu'un cinéma psychologique n'est pas forcément synonyme de pesanteur dramatique...