Lyon Antifa fest, bras de fer en cours
Politique culturelle / Après avoir été radié du dispositif Pass culture, le Lyon Antifa fest (qui aura lieu du 11 au 12 décembre 2025) a reçu un signal plus favorable : la Région Auvergne-Rhône-Alpes a été condamnée à verser 272 000 euros à l'entité qui l'accueille et à laquelle elle avait coupé ses subventions, le CCO et La Rayonne.
Photo : Lyon antifa fest 11e édition ©Mars Yahl
C'était en 2013, marqué·es par la mort du militant antifasciste Clément Méric, qu'un petit groupe de militants antifascistes avait lancé le Lyon Antifa fest, souhaitant favoriser l'émergence de nouveaux espaces de politisation. « Évidemment, le festival avait toujours été porté par la volonté de dénoncer le racisme, les discriminations, les violences policières, mais on cherchait surtout à créer un espace de rencontre et de visibilisation pour les collectifs locaux qui luttent... », se remémore Halima, membre de l'association Culture de classe, aux manettes de l'événement. Initialement accueilli au CCO de Villeurbanne (centre culturel et social) l'événement avait vécu une première crise en 2021. L'association avait partagé une vidéo sur laquelle on pouvait voir le rappeur Original Tonio invité en 2015 insulter les forces de police de « bâtards ». Dénoncé en tant qu'incitation à la haine de la police par le média d'extrême droite Livre noir (aujourd'hui devenu Frontières), la polémique avait rapidement enflé, au point que l'ex-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez avait annoncé par voie de presse sa décision de retirer la subvention annuelle de 45 000 euros au CCO de Villeurbanne. Après une année blanche et une année au Grrrnd Zero, le Lyon Antifa fest est retourné auprès de son premier partenaire, qui avait depuis déménagé et s'était métamorphosé, devenant une salle de concert de 1000 places, La Rayonne. La structure n'avait jamais retrouvé le soutien de la Région.
La Région condamnée
Pour Halima, le Lyon Antifa fest avait aussi servi de « prétexte » : « La Région n'a pas cessé de se désengager des structures culturelles du territoire, qu'elles programment du rap, du théâtre, des spectacles engagés ou pas. C'est bien pratique de dire que c'est uniquement à cause de nous que le CCO a perdu toutes ses subventions », précise-t-elle.
Dans ce qui semble être la continuité de la décision du 14 octobre dernier, condamnant la Région Auvergne-Rhône-Alpes à verser 149 000 € au Théâtre nouvelle génération (TNG) après la suppression jugée illégale de sa subvention en 2023, le tribunal administratif a condamné le mardi 2 décembre la Région à « verser 76 061 euros au Centre culturel œcuménique Jean-Pierre Lachaize pour le fonctionnement de ce centre et 200 000 euros à la société La Rayonne pour la construction d'une salle de spectacle sur le site de l'Autre Soie à Villeurbanne ». L'instance juridictionnelle rappelle - entre autres - que la structure accueillante n'avait pas conclu de mise à disposition de ses locaux au Lyon Antifa fest au moment de la diffusion de la vidéo. La Région a fait appel de la décision.
À lire aussi dans Le Petit Bulletin :
• Baisses de subventions de la Région : « Si on continue, dans 10 ans il n'y aura plus d'artistes »
• Joris Mathieu : « Nous sommes à l'heure des choix »
Oui au Puy du fou, non au Lyon Antifa fest
Au fur et à mesure de ses éditions, l'événement porté par l'association Culture de classe s'est attaché à accueillir des artistes aux esthétiques variées et aux degrés de politisation variables. Si certain·es revendiquent leur engagement antiraciste, anticapitaliste, féministe... d'autres déploient un discours moins politique, plus axé sur l'intime ou le quotidien. (La critique du rappeur Da Uzi est à découvrir en page 26.)
Début novembre, le Lyon Antifa fest s'était à nouveau retrouvé dans la tourmente. En cause ? La participation nouvelle de l'événement au dispositif national du Pass culture, permettant aux jeunes d'accéder à la culture de leur choix via une enveloppe dédiée. « On a candidaté sur le site en tant qu'événement culturel, et on a été accepté », se remémore Halima : « et puis il y a eu un article du JDD, et c'était fini. En 24 heures c'était plié, tous les médias de droite et d'extrême droite ont parlé de nous ». Sur les réseaux sociaux, de nombreux·ses élu·es de droite et d'extrême droite ont condamné la participation d'un événement « anti-police » au Pass culture, parmi lesquels la députée Identité-libertés du Val-d'Oise Anne Sicard, ou le candidat ciottiste à la mairie de Lyon Alexandre Humbert-Dupalais, fustigeant au passage l'affiche de l'événement, représentant des barricades, qui inciteraient par leur seule présence à « semer le chaos à Lyon ». Celui-ci a aussi écrit à la Préfecture du Rhône pour lui demander d'interdire un événement qui, selon lui, risquerait de représenter un trouble à l'ordre public.
« On a appris qu'on était radiés du dispositif par un post sur X victorieux de Marion Maréchal Le Pen (groupe Identité-libertés ndlr) », déplore Halima qui interroge une altération de la philosophie première du Pass culture, qui était celle de laisser aux jeunes la liberté de choisir. « Le Puy du fou a été intégré au Pass culture cette année, notamment car plusieurs élus et médias ont donné de la force à cette revendication. Nous, nous n'avons même pas la possibilité de dialoguer avec le ministère de la Culture », conclut-elle. Contacté par la rédaction, le ministère de la Culture n'a pour l'instant pas répondu à nos sollicitations.
La liberté de création, d'expression et de programmation en question
Quid de la mise en œuvre du plan d'action annoncé par la ministre de la Culture Rachida Dati en 2024, visant au renforcement des droits face à la multiplication des cas d'atteintes à la liberté de programmation ? Nous l'évoquions dans nos articles portant sur la disparition de plusieurs festivals du territoire : les subventions et aides indirectes à la culture se raréfient, dans un contexte qui n'est pas favorable aux prises de risques ou aux discours alternatifs. En 2024, le vice-président de l'Observatoire de la liberté de création François Lecercle avait publié une analyse qui interroge la tendance à minorer les entraves et atteintes à la liberté de création en France. Il avait notamment noté qu'« en dépit de la diversification des auteurs et des motivations, les menaces les plus sérieuses continuent de venir de l'extrême droite politique et religieuse, les activistes se sentant confortés par son influence grandissante dans les urnes ». Il avait aussi écrit que les entraves les plus difficiles à démontrer sont « les abus de pouvoir des responsables politiques, qui s'arrogent un droit de regard sur les choix des institutions culturelles ou qui pèsent sur l'attribution des financements en fonction de leurs options idéologiques », concluant qu'il importe donc d'inciter les collectivités à plus de vigilance.

