Premier bilan de la CSRD : une directive révisée qui redessine le paysage du reporting
La première année d'application de la Corporate sustainability reporting directive (CSRD) révèle un mouvement paradoxal : une réglementation resserrée par ses révisions successives, mais dont l'impact structurel continue de s'étendre dans l'économie européenne. Ce premier bilan éclaire une transformation en cours.
Premier bilan de la directive CSRD
La première année d'application de la Corporate sustainability reporting directive (CSRD) constitue un moment charnière pour l'Union européenne et pour les entreprises qui entrent dans cette nouvelle ère du reporting durable. Pensée initialement comme un instrument de massification de la transparence extra-financière, la directive a rapidement été confrontée à des critiques portant sur sa complexité, son coût, son calendrier et son périmètre. Les ajustements opérés en 2025, notamment via la directive Omnibus, témoignent d'une volonté politique d'adapter l'ambition initiale à la réalité économique, sans renoncer aux objectifs structurants que porte la durabilité.
Le paradoxe est frappant : alors que le texte est allégé et que le champ des entités obligées se réduit, l'influence de la CSRD ne cesse de s'étendre au sein de l'économie européenne. Les exigences de transparence diffusent bien au-delà du cercle restreint des entreprises formellement assujetties, révélant que la directive fonctionne désormais comme un moteur systémique plutôt que comme un simple cadre réglementaire. Ce premier bilan montre ainsi une transformation profonde : la durabilité n'est plus un exercice sectoriel ou narratif, mais un nouveau principe structurant des relations économiques, des choix d'investissement et du pilotage stratégique.
Un périmètre restreint, mais un impact systémique renforcé
La CSRD, dans sa conception initiale, devait couvrir plus de 55 000 entreprises européennes. Les ajustements de 2025 ont considérablement réduit cette ambition : seuls les groupes dépassant 450 millions d'euros de chiffre d'affaires et 1 750 salariés relèveront désormais du reporting obligatoire. Ce recentrage répond aux critiques des entreprises, confrontées à des coûts élevés de mise en conformité, aux difficultés d'accès aux données et à une interprétation jugée complexe des normes ESRS (european sustainability reporting standards).
Pour autant, cette réduction n'équivaut pas à un retrait. L'Union européenne a cherché à cibler les acteurs présentant les plus forts enjeux d'impact et de transparence, et qui sont en mesure de structurer l'ensemble de leur chaîne de valeur. Le périmètre réglementaire se contracte, mais l'écosystème qu'il influence continue, lui, de s'élargir : fournisseurs, partenaires financiers, PME non assujetties deviennent indirectement concernées par les exigences de leurs donneurs d'ordres.
Ainsi, ce premier bilan montre que la CSRD agit moins comme une obligation uniforme que comme un mécanisme d'entraînement : elle crée une dynamique ascendante de diffusion des bonnes pratiques, même lorsqu'elle réduit sa portée juridique stricte.
Premiers retours des entreprises de la vague 1 : exigences élevées, maturité contrastée
Les premières publications - celles des grandes entreprises déjà habituées au reporting extra-financier - offrent des enseignements précieux. Les organisations concernées considèrent la CSRD comme un cadre exigeant mais cohérent avec l'évolution de leurs enjeux. La directive a en effet renforcé la structuration des politiques sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), permettant une meilleure articulation entre stratégie, gouvernance et performance durable.
Les thématiques le plus souvent mises en avant - égalité de traitement, climat, éthique des affaires - confirment également le rapprochement entre reporting de durabilité et régulation nationale française, notamment sur la corruption ou l'égalité professionnelle.
Mais ces entreprises affichent des niveaux de maturité très différents selon les secteurs. Les industries les plus exposées identifient davantage de normes matérielles que les services ou le commerce, illustrant un rapport inégal aux enjeux ESG et à la disponibilité des données. Ce premier exercice montre une difficulté persistante : l'équilibre entre les coûts du reporting et l'impact réel attendu sur la compétitivité.
En somme, la vague 1 a révélé autant la pertinence du cadre que les limites opérationnelles de sa mise en œuvre, justifiant en partie les révisions politiques intervenues en 2025.
Le tournant stratégique : l'essor d'un reporting volontaire mais structuré
L'une des évolutions majeures de cette première année n'est pas la réduction du périmètre CSRD, mais l'apparition d'un nouveau levier : la norme VSME, destinée aux PME non cotées. Conçue comme une réponse pragmatique aux difficultés de mise en conformité, elle introduit une logique graduée de reporting durable.
Avec 80 points de données potentiels, deux niveaux d'application et un référentiel de quinze pages, elle se distingue radicalement de l'architecture ESRS. Mais sa portée dépasse sa simplicité : elle offre aux PME un outil lisible pour répondre aux attentes croissantes des banques, des investisseurs et des grandes entreprises.
Ce premier bilan révèle ainsi un basculement : l'Europe ne cherche plus uniquement à imposer une norme, mais à créer les conditions d'une adoption progressive, en tenant compte des capacités réelles des entreprises. Le reporting durable devient un continuum, non une obligation uniforme.
Un volontariat sous contrainte économique : la durabilité comme avantage compétitif
Le paradoxe du moment est éclairant : même si la CSRD devient moins contraignante juridiquement, les entreprises n'ont jamais été autant incitées à publier des données ESG. Ce mouvement n'est plus tiré seulement par la réglementation, mais par les impératifs du marché.
Les financeurs exigent des preuves de performance extra-financière pour accorder des conditions préférentielles. Les donneurs d'ordres intègrent des critères ESG dans leurs appels d'offres. Les talents cherchent des employeurs engagés. Les entreprises découvrent que l'amélioration des pratiques ESG crée aussi des gains opérationnels tangibles.
Ce premier bilan montre donc que le volontariat n'a de "volontaire" que le nom : les entreprises non soumises à la CSRD auront, elles aussi, intérêt à structurer un reporting crédible pour rester compétitives. La norme VSME pourrait rapidement devenir un standard de marché, même sans obligation formelle.
Une directive révisée, mais une stratégie inchangée
Au terme de cette première année, la CSRD apparaît moins comme une norme figée que comme un processus évolutif, encore en ajustement mais déjà structurant. Les révisions opérées traduisent un réalisme politique : préserver la compétitivité, tout en maintenant une ambition élevée en matière de durabilité. La directive privilégie désormais une architecture graduée plutôt qu'un cadre uniforme, afin de tenir compte de la diversité des entreprises.
Le premier bilan montre aussi que la dynamique du reporting durable dépasse désormais la seule contrainte réglementaire. Les pressions économiques - financement, attentes des clients, exigences des marchés publics ou enjeux RH - jouent un rôle aussi déterminant que la loi. Même allégée, la CSRD a installé un langage commun et une méthodologie harmonisée qui influencent durablement les pratiques.
La norme VSME illustre cette évolution : elle annonce une intégration progressive, proportionnée mais incontournable de la durabilité, appelant transparence et responsabilité. Ainsi, loin d'être affaiblie, la CSRD apparaît repositionnée : recentrée pour être mieux appliquée et toujours porteuse d'une transformation profonde. Elle s'impose comme un pilier clé de l'économie européenne de demain, à la croisée de la régulation, de la stratégie et du marché.

