Le DGD tacite : opportunité ou piège pour les entreprises du BTP ?

par Juline Duquesnel
Publié Vendredi 5 décembre 2025

La jurisprudence relative au décompte général définitif (DGD) tacite en marchés privés tend à s'étoffer et à se préciser au fil des années. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises, rompues à ce mécanisme, s'en emparent pour être payées à la hauteur du gain escompté.

Quand un chantier se passe « bien », le paiement du solde demandé par l'entreprise au maître d'ouvrage ne pose généralement peu, voire pas, de difficultés. En revanche, lorsque l'opération de construction a été chaotique, le maître d'ouvrage et l'entreprise ont tout intérêt à être particulièrement attentifs au processus d'établissement du décompte général définitif (DGD).

En cas de non-respect des délais stricts de ce processus, les conséquences financières peuvent être importantes.

Dans la plupart des marchés de travaux privés, une procédure spécifique est prévue s'agissant de l'établissement du DGD. Bien souvent, cette procédure est celle prévue par la norme Afnor NF P 03 001, encore dénommée cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés privés.

Cadre normatif et contractuel

La norme Afnor NF P 03 001 est un document d'application volontaire. Autrement dit, si le marché de travaux se réfère à la norme, celle-ci s'impose aux parties et son processus d'établissement du DGD également (sous réserve d'éventuelles dérogations contractuelles).

Concrètement, la simple référence dans le marché de travaux à la norme Afnor confère à cette dernière une force obligatoire certaine.

Dès lors, le maître d'ouvrage et l'entreprise doivent impérativement respecter le processus d'établissement du DGD prévu aux articles 19.5 et 19.6 de la norme. Et d'ailleurs, même lorsque la norme n'est pas contractualisée, le marché de travaux contient quasi-systématiquement des dispositions similaires à celle-ci.

Pour l'essentiel, ce processus se résume à un système de navette d'un décompte entre l'entreprise, le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage, système contraint par des délais et un formalisme précis.

Établissement du projet de décompte final

Conformément à l'article 19.5.1 de la norme précitée, l'entreprise doit remettre un « projet de décompte final » au maître d'œuvre dans un délai maximum de 45 jours à dater de la réception. Ce document intitulé « projet » constitue la facture finale de l'entreprise au travers de laquelle toutes les sommes auxquelles elle peut prétendre sont inscrites. Dit autrement, l'entreprise va procéder à la facturation de tous les éléments au titre desquels elle entend être rémunérée, y compris les éléments de désaccord.

Ainsi, doivent figurer dans le projet de décompte final de l'entreprise : le prix du marché de base, les avenants, les variations de prix (actualisation et/ou révision), les intérêts moratoires, les travaux supplémentaires non régularisés par avenant, les indemnités pour allongement de la durée du chantier1, les frais supplémentaires divers, etc.

L'entreprise doit prendre un soin tout particulier à l'établissement de son projet de décompte final, puisqu'elle est tenue par le contenu de celui-ci. En effet, une fois son projet de décompte établi et envoyé au maître d'œuvre, l'entreprise ne pourra plus solliciter le paiement d'éléments n'y figurant pas. De la même manière, l'entreprise doit également veiller à établir son projet dans le délai requis par son marché, 45 jours lorsque la norme est applicable. À compter du 46e jour, le maître d'œuvre pourra, après avoir mis en demeure l'entreprise, établir en lieu et place de cette dernière le projet de décompte final.

Mise au point du décompte général

À réception du projet de décompte final, et en application de l'article 19.6.1 de la norme Afnor NF P 03 001, le maître d'œuvre établit un projet de décompte général des sommes dues en exécution du marché qu'il remet au maître d'ouvrage.

Puis, c'est au tour du maître d'ouvrage qui doit alors notifier à l'entreprise un décompte général des sommes qu'il estime devoir à l'entreprise.

Trois particularités à ce décompte général :

- D'abord, ce décompte général doit être notifié personnellement par le maître d'ouvrage.

Une notification faite, par exemple, par le seul maître d'œuvre n'aurait aucune valeur.

- Ensuite, la notification doit intervenir dans un délai maximum de 30 jours suivant la réception du projet de décompte final de l'entreprise par le maître d'œuvre.

Ainsi, dans l'hypothèse où le maître d'œuvre remettrait un projet de décompte général au maître d'ouvrage 25 jours après l'avoir reçu, il ne resterait alors que 5 jours au maître d'ouvrage pour procéder à la notification.

- Enfin, le décompte général du maître d'ouvrage peut être totalement différent du projet de décompte final de l'entreprise.

C'est notamment le cas lorsque le maître d'ouvrage refuse de payer des travaux supplémentaires et/ou applique des pénalités de retard à l'entreprise.

En cas d'accord de l'entreprise sur le décompte notifié, elle le signera et le décompte deviendra alors le décompte général définitif.

Le principe de l'acceptation tacite

En revanche, si le maître d'ouvrage et l'entreprise ne s'entendent pas sur le montant final à payer, l'un et l'autre se doivent d'être vigilants sous peine de lourdes sanctions.

Ainsi, dans l'hypothèse où le maître d'ouvrage ne notifierait pas un décompte général dans le délai requis, l'entreprise aurait la possibilité de le mettre en demeure de procéder à la notification.

À défaut de notification dans les quinze jours suivant la mise en demeure, le projet de décompte final de l'entreprise deviendrait alors le décompte général définitif.

Cette « sanction » prévue par la norme Afnor est particulièrement efficace pour l'entreprise, puisqu'il s'agit d'une présomption d'acceptation irréfragable.

Le maître d'ouvrage serait alors contraint de régler, sans discussion possible, ce que réclame l'entreprise. Ni plus ni moins.

À l'inverse, si le maître d'ouvrage notifie bien le décompte général à l'entreprise dans le délai de trente jours tel que prévu par la norme, l'entreprise veillera à formuler ses observations dans un délai de trente jours.

Concrètement, un mémoire en réclamation (détaillé et justifié) devra être adressé au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre par lettre recommandée avec accusé de réception. L'entreprise pourra, par exemple, contester des pénalités de retard ou réclamer le paiement de travaux supplémentaires non validés.

Si l'entreprise ne respectait pas ce délai de trente jours, la sanction serait l'acceptation tacite du décompte général notifié par le maître d'ouvrage. Là encore, il s'agit d'une présomption irréfragable de sorte que l'entreprise ne serait plus recevable à contester le décompte général.

En revanche, si l'entreprise venait à établir un mémoire en réclamation dans le délai requis, ce serait alors au maître d'ouvrage de respecter un délai identique de trente jours pour répondre aux réclamations formulées.

Une nouvelle fois, la norme prévoit qu'en cas de non-respect du délai, le maître d'ouvrage est réputé avoir accepté le mémoire en réclamation de l'entreprise.

Bilan

Maître d'ouvrage et entreprises ont donc tout intérêt à s'entendre sur le décompte final, ou à tout le moins, à respecter le process contractuel d'établissement du DGD à la lettre. À défaut, la sanction est susceptible d'être lourde. D'autant que la jurisprudence tend à considérer, de plus en plus, que le règlement des sommes dues, en application de l'acceptation tacite, peut-être sollicitée par voie de référé-provision2.

En cas de litiges financiers non solutionnés en cours de chantier, les entreprises peuvent avoir avantage à se faire assister d'un conseil afin de saisir l'opportunité du DGD tacite ou, a contrario, éviter les pièges de celui-ci.