Professionnels, comment bien recouvrer vos factures ?

par Lauriane Nocella
Publié Jeudi 11 décembre 2025

Le recouvrement des factures est un enjeu crucial pour tout professionnel. L'accumulation d'impayés peut engendrer des difficultés financières et compromettre la capacité d'une entreprise à honorer ses propres engagements : paiement des salaires, des fournisseurs, des dettes fiscales et sociales. Un mauvais taux de recouvrement impacte négativement la rentabilité, les indicateurs financiers et la cotation de la société.

Sécurisez le recouvrement dès la phase contractuelle

L'efficacité du recouvrement se prépare en amont, bien avant l'émission des factures. Elle repose sur la qualité et la rigueur du processus contractuel mis en place par l'entreprise et sur diverses vérifications préalables.

Il est vivement recommandé de mettre en place un process de contractualisation clair et sécurisé, qui permettra d'encadrer strictement les conditions de paiement (échéance, délai, règlement d'un acompte, clause pénale, etc.). Cela se matérialise par l'établissement de conditions générales de vente (ou de prestations de services) et/ou d'un contrat clair et bien rédigé, puis par l'acceptation d'un devis ou d'une offre de services par le client. Toute ambiguïté dans le socle contractuel liant une entreprise à son client pourrait faire obstacle à un recouvrement efficace et rapide des factures en souffrance. Il ne faut donc pas négliger la rédaction de ces documents.

Enfin, il est conseillé de vérifier la solvabilité de votre client en demandant un extrait Kbis, en s'assurant de l'absence de procédure collective en cours sur les sites Infogreffe et BODACC, en exigeant un acompte avant tout début d'exécution du contrat, puis au fil de l'avancement, si le contrat est à exécution successive.

L'émission de la facture : les bonnes pratiques

Pensez à facturer sans délai après l'exécution de vos prestations ou la livraison des biens vendus.

Dans le cadre des mentions obligatoires devant figurer sur vos factures, une attention particulière doit être portée à l'échéance de paiement, aux intérêts de retard et à l'indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 €.

Entre professionnels (« B2B »), le taux de pénalité en cas de retard de paiement ne peut être inférieur à 3 fois le taux d'intérêt légal, mais la loi autorise l'application du taux d'intérêt de la Banque Centrale Européenne majoré de 10 %, soit actuellement 12, 15 % (contre 8, 28 % pour l'application de 3 fois le taux légal). Ces intérêts, comme l'indemnité forfaitaire de 40 € par facture, sont dus de plein droit si mention est faite sur la facture (et CGV) mais, en pratique, rares sont les entreprises qui les réclament en phase amiable afin de préserver de bonnes relations avec leurs clients.

Surveillez vos échéances de paiement : la phase de dialogue

En France, les retards de paiement représentent l'une des principales causes de défaillance des petites et moyennes entreprises. Une vigilance accrue et un suivi régulier sont nécessaires pour minimiser vos risques d'impayés, en particulier au regard de la situation économique actuelle. Ainsi, si une facture n'est pas spontanément payée à son échéance, veillez à relancer votre débiteur, quitte à négocier un échéancier de paiement.

Si vos relances n'ont pas abouti, il convient d'adresser une mise en demeure formelle par lettre recommandée avec avis de réception ou de solliciter votre conseil habituel pour le faire (ce qui s'avère souvent plus efficace), en précisant qu'à défaut de paiement sous un certain délai, les pénalités de retard, la clause pénale et l'indemnité forfaitaire de 40 € seront dues, en sus du montant principal et qu'une action contentieuse sera engagée.

La mise en demeure est un préalable nécessaire à l'introduction d'une demande en justice (et application de la clause pénale).

La phase d'action : les procédures à votre disposition

En cas d'échec de la phase de dialogue et lorsque le débiteur ne s'est pas exécuté spontanément suite à la mise en demeure, plusieurs procédures sont envisageables selon le montant et la nature de la créance.

Procédures amiables

Les modes alternatifs de résolution des différends, encouragés par la législation récente, peuvent permettre une issue amiable du contentieux des impayés. Un avocat, un conciliateur de justice ou un médiateur peut être saisi à cet effet. Il existe par ailleurs une procédure de recouvrement des petites créances pour les impayés inférieurs à 5 000 €. Cette procédure, menée par un commissaire de justice, est cependant conditionnée à l'accord des deux parties, qui s'avère souvent difficile à obtenir lorsque le débiteur est de mauvaise foi ou ne réagit pas.

Procédures judiciaires

• La saisie-conservatoire

La saisie-conservatoire est une arme redoutable face aux mauvais payeurs pour permettre au créancier de recouvrer efficacement ses factures, empêchant ainsi le débiteur d'organiser son insolvabilité ou de dissimuler ses biens.

Pour engager une saisie conservatoire, deux conditions cumulatives doivent être démontrées : la créance paraît fondée en son principe (créance vraisemblable, même si elle est contestée ou à terme non échu) et des circonstances sont susceptibles d'en menacer le recouvrement (difficultés financières du débiteur ou relances restées infructueuses). Une requête au président du tribunal compétent est nécessaire (sauf exceptions). Cette procédure n'est pas contradictoire, le débiteur n'en sera donc pas informé, ce qui crée un effet de surprise : dès lors que le juge rend l'ordonnance autorisant la saisie-conservatoire, le créancier peut mandater un commissaire de justice pour saisir les comptes bancaires du débiteur, à hauteur du montant autorisé par l'ordonnance. La saisie peut aussi porter sur des biens du débiteur (véhicules, matériel, meubles etc.).

Dans le mois suivant l'exécution de la saisie, le créancier devra engager une procédure (référé provision ou instance au fond) afin d'obtenir un titre exécutoire et ainsi convertir la saisie pour obtenir le paiement immédiat des sommes dues (sauf ouverture d'un redressement ou liquidation judiciaire du débiteur).

En pratique, il est fréquent que le débiteur prenne attache avec l'avocat du créancier qui a initié la procédure afin de trouver une solution négociée et ainsi obtenir la mainlevée de la saisie.

• La requête en injonction de payer

La demande en injonction de payer est une procédure rapide, non contradictoire (le débiteur n'est pas informé de la requête déposée par le créancier) et simplifiée. La requête doit indiquer la somme réclamée, son fondement, être accompagnée des preuves justifiant la créance et déposée devant le président du tribunal compétent du lieu où demeure le débiteur. Si le juge estime que la demande est fondée, il délivrera alors une ordonnance portant injonction de payer. Cette ordonnance devra ensuite être signifiée au débiteur par un commissaire de justice, afin de l'informer de la décision et faire courir le délai d'opposition d'un mois. Si le débiteur ne forme pas opposition, l'ordonnance devient exécutoire et le créancier pourra saisir les sommes dues. En revanche, si le débiteur forme opposition, par une simple lettre recommandée, l'affaire est renvoyée devant le tribunal, qui statuera de façon collégiale selon la procédure ordinaire au fond et l'ordonnance ne pourra être exécutée tant que durera la procédure, soit entre 8 et 18 mois selon la juridiction.

Cette procédure a l'avantage de la simplicité et de la rapidité. Cependant, si le débiteur conteste l'ordonnance, la procédure peut s'avérer longue et coûteuse.

• L'assignation en référé-provision ou l'assignation au fond

Le créancier peut engager une procédure de référé-provision en l'absence de contestations sérieuses de la part du débiteur. Le juge apprécie l'existence de la créance et vérifie qu'aucun élément sérieux ne remet en cause le principe ou le montant de la dette. Cette procédure rapide et contradictoire permet d'obtenir, sous 2 à 4 mois en moyenne, une ordonnance, qui sera exécutoire immédiatement. En cas de contestation (s), une procédure au fond devra être engagée.

• L'assignation en redressement ou en liquidation judiciaire comme ultime recours

Si les démarches de recouvrement exposées ci-avant se sont avérées infructueuses, le créancier peut assigner son débiteur en redressement ou liquidation judiciaire (quelle que soit la nature de sa créance). En effet, l'échec répété des poursuites peut caractériser une situation de cessation des paiements du débiteur, c'est-à-dire l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Bien qu'une telle démarche puisse paraître extrême, il est certain que le débiteur réagira s'il dispose de moyens pour régler ses dettes. À défaut, cette démarche préviendra l'accumulation de nouvelles dettes susceptibles de nuire davantage aux créanciers.

Soyez vigilants quant aux délais de prescription de vos créances (5 ans entre professionnels et 2 ans envers les consommateurs). Donc n'attendez pas avant d'agir et d'engager une action car la situation financière de votre débiteur peut rapidement se dégrader.