Urbanisme et pollution des sols : que dit la loi ?

par Hélène Hourlier
Publié Vendredi 12 décembre 2025

La prise en compte de la pollution des sols dans les projets d'aménagement reste une problématique complexe pour les communes et les intercommunalités en charge de l'urbanisme. Elle a cependant fait l'objet d'évolutions législatives notables.

La loi Alur du 24 mars 2014 introduit un nouveau chapitre au Code de l'environnement, spécifique aux « sites et sols pollués »,  et aborde la question de la dépollution des sols lorsqu'un changement d'usage du terrain est envisagé, après l'arrêt d'une installation classée pour l'environnement (ICPE), mais aussi lorsque la réglementation des ICPE n'a pas permis de mettre en jeu la responsabilité de l'exploitant. Des travaux de dépollution peuvent être exécutés d'office.

Même si le rôle de l'État reste prépondérant en matière environnementale, le maire et les autorités chargées de la réalisation des documents d'urbanisme et de la délivrance des autorisations conservent une part de responsabilité dans la prise en compte des situations de pollution des sols. Les collectivités locales restent chargées de l'aménagement de leur territoire, et se trouvent confrontées à des défis techniques et financiers lorsqu'il s'agit, notamment, de réhabiliter des friches industrielles, comme les y invite la loi Climat et résilience du 22 août 2021, instituant l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN).

La mise en œuvre d'une information partagée à destination des autorités administratives et du public

L'un des enjeux majeurs de la politique de gestion des sols pollués est d'abord la connaissance précise et partagée de l'état des lieux des pollutions sur les territoires.

Des bases de données se sont développées depuis plusieurs dizaines d'années (Basol, Basias...), mais la loi Alur introduit, dans le cadre d'un échange entre le préfet, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la création de « secteurs d'information sur les sols » (SIS), définis comme « les terrains où la connaissance de la pollution des sols justifie, notamment en cas de changement d'usage [...],  la réalisation d'études de sols et de mesures de gestion de la pollution pour préserver la sécurité, la santé ou la salubrité publiques et l'environnement » (art. L 125-6 C. Environnement). Actuellement, le département de la Savoie a répertorié vingt SIS, tels que l'ancienne usine Rubanox à Chambéry, ou plusieurs anciennes décharges. En comparaison, le département du Nord en comporte 226 ! Les SIS doivent être annexés aux plans locaux d'urbanisme et sont également portés à la connaissance des acquéreurs et locataires.

En conséquence, toute demande de permis de construire ou d'aménager un lotissement portant sur un terrain situé dans un secteur SIS devra être accompagnée « d'une attestation établie par un bureau d'études certifié [...],  garantissant la réalisation d'une étude de sols et sa prise en compte dans la conception du projet de construction » (art. R 431-16 et R 442-8-1 C. Urbanisme). Le maire pourra donc refuser une autorisation si le pétitionnaire ne présente pas d'attestation d'étude de sols ou si le terrain s'avère impropre à l'usage envisagé. Rappelons également que le maire doit en principe, quel que soit le classement du terrain au plan local d'urbanisme (PLU), empêcher la réalisation d'une construction lorsqu'il a connaissance d'un risque pour la santé et la salubrité publiques ; il s'agit de l'application de l'article R 111-2 du C. Urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. »

La cartographie des SIS, qui doit être mise à jour chaque année, peut aussi permettre aux communes ou EPCI d'adapter le classement des parcelles par le PLU. De fait, il n'est pas exclu que la responsabilité de la personne publique soit engagée lorsqu'est classé en zone constructible sans restriction un terrain pollué, telle une ancienne carrière remblayée par des déchets (TA Nantes, 6 septembre 2023, n° 2216805). Il est en effet fréquent que le phénomène de pollution des sols excède le périmètre géographique ou réglementaire des installations classées, et qu'il incombe alors à la commune de prendre les mesures adaptées.

La jurisprudence met en exergue des situations dans lesquelles l'activité industrielle polluante est très ancienne, mais où la pollution demeure et fait obstacle à tout changement d'usage. Pour exemple, dans un arrêt du Conseil d'État du 13 novembre 2019 (n° 416860) : une commune souhaite aménager une friche industrielle, occupée par une fabrique de soude et d'engrais chimique entre 1872 et 1920, appartenant à la société Saint-Gobain. La société existe toujours, mais l'obligation de remise en état au titre des ICPE est prescrite par trente ans à compter de l'arrêt de l'activité.

Les enjeux pour les territoires et pour les collectivités en charge de l'urbanisme

Le principe « pollueur-payeur », posé à l'article 4 de la Charte de l'environnement, connaît en matière de pollution des sols plusieurs limites. Il n'est pas rare que le dernier exploitant d'une installation ou le responsable d'une pollution des sols ait disparu ou soit insolvable. Cette difficulté a d'ailleurs été à l'origine de plusieurs recours d'associations de protection de l'environnement contre les décrets d'application de la loi Industrie verte, du 23 octobre 2023, qui prévoit notamment la suppression de l'obligation pour les exploitants d'ICPE de constituer des garanties financières nécessaires aux frais de dépollution. Le départ de l'exploitant sans remise en état bloque le foncier, parfois sur de vastes étendues, et souvent en zone urbaine ou périurbaine, empêchant la requalification du secteur par les collectivités en charge de l'urbanisme.

La loi Alur envisage la possibilité pour un « tiers demandeur » d'acquérir tout ou partie du terrain en vue de réaliser son projet d'aménagement, en contrepartie de la prise en charge la dépollution du site, sous réserve de l'accord du préfet, sur la base d'un « mémoire de réhabilitation définissant les mesures permettant d'assurer la compatibilité entre l'usage futur envisagé et l'état des sols »
(art. L 512-21 C. Env.). Le préfet vérifie les capacités financières et techniques du tiers demandeur. Les communes ou EPCI en charge de l'urbanisme sont associées au projet.

Enfin, lorsqu'aucune personne privée n'est en mesure de prendre en charge la dépollution du site, les personnes publiques sont habilitées à intervenir, selon les dispositions de l'article L 556-3 du C. Env. : « L'État peut, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, confier cette réhabilitation à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ». Les travaux et acquisitions d'immeubles peuvent être déclarés d'utilité publique après consultation des collectivités territoriales intéressées. C'est dans ces conditions qu'a été réalisée, par exemple, la mise en sécurité du site de Metaltemple -
MT Technology à Saint-Michel-de-Maurienne, fonderie mise en liquidation judiciaire. Selon l'Établissement public foncier local (EPFL) de Savoie, chargé des travaux par délégation de l'Ademe, le site de plus de deux hectares contenait 2 500 tonnes de déchets dangereux à traiter et évacuer.

En conclusion : une politique de gestion des sols pollués qui reste insuffisante

Une commission d'enquête du Sénat a rendu en septembre 2020 un rapport relatif aux pollutions industrielles et minières des sols. Elle propose parmi les axes d'améliorations essentiels la consécration d'un véritable droit à l'information du public sur les pollutions et leurs effets sur la santé et l'environnement, partant du constat que malgré les progrès apportés par les SIS, l'information reste parcellaire et n'associe pas suffisamment les communes et EPCI. Elle appelle également de ses vœux l'instauration d'une politique européenne de lutte contre la pollution des sols.