Origines incontrôlées

Invité de marque du Printemps du Livre, le néo-zélandais Alan Duff aligne les œuvres fortement marquées d’empreintes autobiographiques, interrogeant d’une écriture aussi brute que puissante la place de la culture maorie et ses contradictions contemporaines. François Cau

Bringuebalé dans sa prime jeunesse entre sa famille paternelle bourgeoise et une famille maternelle plus modeste aux racines maories affirmées, Alan Duff a de fait presque systématiquement décrit dans ses romans des personnages déchirés par le flou de leur identité. Des marginaux pas forcément volontaires, tourmentés par des pressions sociales qui les poussent à choisir un camp, là où leur construction personnelle dépend justement de la pluralité de leurs origines. Pour renforcer le cheminement intime de ses héros, il adopte un style vif, familier, grossier mais jamais vulgaire, avec un sens de la formule choc qui résiste à la tentation de l’épate pour ne pas prendre ses personnages de haut. L’écriture est à la première personne, transcription parfois désordonnée de flots de pensées incontrôlables, transcription esthétique de la violence ambiante. L’ombre des guerriers
Pour le moins entier dans sa démarche, Alan Duff brûle son premier manuscrit, un thriller, après son refus par une maison d’édition. Il se lance dans la rédaction de ce qui deviendra son premier chef-d’œuvre, le radical L’Âme des Guerriers. Chronique d’une famille rongée par la brutalité d’un père alcoolique et irresponsable, le roman présente, sans fard et avec une précision quasi documentaire, la réalité de la communauté maorie dans la Nouvelle-Zélande d’aujourd’hui. Sa ghettoïsation contrainte au sortir d’années à vouloir intégrer l’environnement urbain, ses liens avec le monde des gangs, ses ruptures et réconciliations avec la base de sa culture. Succès critique et public fulgurant dès sa publication en 1990, L’Âme des Guerriers prendra une ampleur encore plus imposante avec son adaptation cinématographique quatre ans plus tard, accomplissement artistique exceptionnel pour chacun de ses maîtres d’œuvre. Non seulement le travail d’adaptation, recentré sur Beth l’épouse battue, respecte avec mérite le matériau de base, mais le film fait montre d’une puissance cinématographique toujours intacte 17 ans plus tard. Ce drame social intense, aux éclairs de violence traumatisants, aura autant fait pour la redécouverte – voire une certaine refonte – de la culture maorie que pour la reconnaissance de la violence domestique. Alan Duff poursuivra son exploration de la famille Heke de façon plus que convaincante dans Les Âmes brisées (également adapté à l’écran avec le casting original, mais avec moins de brio) et Jake’s long shadow (pas encore traduit en français). Si la surprise littéraire est évidemment moindre, l’impact du style et du traitement de ses thématiques fait toujours mouche. Pourquoi j’ai mangé mon père
Pour ce qui est de ses interventions au Printemps du Livre, Alan Duff viendra présenter une séance de L’Âme des Guerriers et surtout son dernier livre traduit en France, Un père pour mes rêves (publié chez Actes Sud, comme ses précédents ouvrages). On y suit le calvaire de Mark, surnommé Yank par sa communauté, fruit des amours adultères de sa mère avec un GI. Méprisé par le mari maori de sa daronne, il ne lui reste plus qu’à fantasmer sur Jess, son paternel, et espérer pouvoir le rejoindre aux Etats-Unis. Rêve qui se concrétisera une fois atteint l’âge de vingt ans, et qui se révèlera bien moins glam que prévu. Choc des cultures, toujours, qu’Alan Duff aborde en mode frontal, tout d’abord à travers les yeux de son jeune narrateur a priori blindé par des années d’ostracisme dans son home sweet home, mais que rien ne préparait vraiment au vécu de son père dans l’Amérique du Ku Klux Klan. Prenant tour à tour le point de vue de Mark et de Jess, Alan Duff passe d’une minorité à l’autre avec la même urgence dans le style, la jeunesse du premier finissant par influer sur les renoncements du second, dans ce qui est sans doute le récit le plus optimiste de son auteur. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : sa description de la communauté maorie et du Mississippi de l’immédiat après guerre glace le sang plus d’une fois, mais ses héros en sortent d’autant plus grandis. Alan Duff
Rencontres jeudi 14 à 18h à Phelma-Minatec (discussion en anglais), samedi 16 à 20h45 au Méliès, dimanche 17 avril à 14h30, à la salle Juliet Berto

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