Le Hobbit : La Désolation de Smaug

Le Hobbit : la Désolation de Smaug
De Peter Jackson (ÉU, 2h50) avec Benedict Cumberbatch, Martin Freeman...

Ce deuxième épisode retrouve les défauts d’"Un voyage inattendu", même si Peter Jackson a soigné et densifié en péripéties son spectacle, seul véritable carte dans sa manche pour faire oublier qu’au regard de la première trilogie, ce "Hobbit" fait figure de série télé sur grand écran. Christophe Chabert

Tout d’abord, la sortie de ce deuxième volet du Hobbit donne lieu à une surenchère technologique quant à sa diffusion, si bien qu’entre la 2D, la 3D, l’IMAX, le HFR, le Dolby Atmos et ce truc tellement XXe siècle qu’est la VO, il y a presque autant de versions du film que de cinémas qui le projettent — quoique certains les diffusent toutes, sait-on jamais, faudrait pas perdre un spectateur potentiel et sa carte illimitée.… Cela pourrait être purement anecdotique, mais cela en dit long aussi sur le statut même de cette nouvelle trilogie tirée de Tolkien : elle semble chercher à compenser par de la nouveauté technique son évidente infériorité thématique par rapport au Seigneur des anneaux, comme un petit frère qui voudrait à tout prix se hisser sur les épaules de son aîné.

Rien n’y fait pourtant, et même si les efforts de Jackson sont louables pour inverser les carences manifestes d’Un voyage inattendu, La Désolation de Smaug ne tient pas la comparaison avec Les Deux tours, l’opus majeur de la première trilogie. Le problème est endémique au projet : la matière narrative de Bilbo le hobbit est maigre, et rien ne justifie sa transcription cinématographique en trois films de 2h45… Chaque séquence semble délayer dans une overdose spectaculaire qui s’avère cette fois plutôt payante quant au potentiel divertissant de l’affaire, mais qui ne fait que renforcer la vacuité globale du récit.

Ras la gueule du dragon

Au moins cette fois évite-t-on le pire : les embardées comiques mal négociées et quasi-disneyennes qui marquaient l’ouverture du film précédent, catastrophiques, ou des personnages secondaires qui relevaient d’un pittoresque résolument niais. Le fan service aussi est réduit au minimum, et seul Legolas / Orlando Bloom vient se rappeler au bon souvenir du spectateur nostalgique. Il se fait cependant voler la vedette par sa comparse elfe femelle, beau personnage joliment incarné par Évangeline Lilly, très bien revenue de Lost. Ce qui frappe avant tout, c’est la manière dont Jackson a littéralement rempli La Désolation de Smaug jusqu’à la gueule : un petit prologue qui dessine une sous-intrigue cachée, et le film n’est ensuite plus que conflits et cliffhangers, poursuites et affrontements, le tout chorégraphié avec un soin manifeste dans la mise en scène, qui ne se contente plus — même si elle le fait encore pas mal — de faire s’envoler la caméra dans les airs pour perdre les personnages dans des décors rivalisant de gigantisme.

La descente de la rivière en tonneaux, où la troupe des nains est coursée par des orques en furie, eux-mêmes pourchassés par des elfes particulièrement virtuoses de l’arc et de la flèche, se pose ainsi en équivalent live de la géniale séquence marocaine du Tintin de Spielberg et… Jackson. C’est sans doute l’horizon qu’aimerait dessiner le cinéaste à sa nouvelle trilogie : une œuvre qui ferait voler en éclats les frontières entre le réel et le virtuel, repoussant les limites de l’espace et du mouvement. Il n’est pas loin d’y parvenir lors des morceaux de bravoure du film — ainsi de l’excellent passage où Gandalf essaie de contenir les assauts de Sauron, qui repose essentiellement sur une double lutte entre une fumée noire mouvante et sans contour et la sphère blanche et lumineuse créée par le bâton du magicien.

Mais le film traîne comme un boulet la minceur de ses enjeux, qu’il ne peut évacuer qu’en systématisant la construction des séquences : présentation, développement du conflit, acmé dramatique et deus ex machina venant le résoudre pour faire progresser l’action…

Remplir le vide

D’Un voyage inattendu, on disait qu’il était conçu comme trois épisodes mis bout à bout d’une même série télé, avec une relance scénaristique toutes les cinquante minutes. La Désolation de Smaug, moins linéaire, fait un peu plus illusion, notamment dans le dernier tiers où l’on suit en parallèle l’échec de Gandalf, le réveil de Smaug et l’arrivée providentielle des elfes dans la ville-lac pour sauver un des nains, rongé par un poison orque. Pourtant, ne s’y joue rien d’autre que cette habileté scénaristique qui a fait le succès des serials contemporains inondant aujourd’hui les petits écrans, et dont Christopher Nolan avec son Dark knight fut le premier à sentir qu’ils allaient bousculer les habitudes des spectateurs de cinéma.

On aura ainsi vu en cette exceptionnelle année 2013 le blockbuster explosé en deux camps pas forcément rivaux, mais en tout cas engagés dans des directions résolument opposées. D’un côté, les studios Marvel qui bricolaient à la va-vite des saisons 2 ou 3 de leurs séries de super-héros (Iron Man et Thor), où l’on faisait rentrer des carrés dans des ronds et où, surtout, il s’agissait de pousser la turbine narrative jusqu’à son point de surchauffe pour que personne ne se rende compte que le cinéaste derrière la caméra n’était qu’un pur et simple illustrateur. De l’autre, des artisans mexicains, Guillermo Del Toro et Alfonso Cuarón, qui simplifiaient au maximum leurs trames scénaristiques pour pouvoir déployer l’ampleur de leur mise en scène, remettre de la contemplation au milieu des effets visuels, de la durée et de la sidération au milieu du chaos.

Guillermo Del Toro, justement, devait réaliser Le Hobbit, alors conçu en deux volets seulement, et sans doute plus courts que les versions Jackson. Il reste crédité comme co-scénariste et consultant spécial, mais on voit bien où le bât a blessé entre lui et le nabab néo-zélandais : l’un aurait sans doute aimé explorer les monstres et les univers de la Terre du milieu, fidèle à son cinéma, tandis que l’autre, sans doute mu par quelques considérations commerciales compréhensibles, voulait une aventure épique à la hauteur du Seigneur des anneaux. Impossible de dire, entre ceux qui cherchent l’épure et le minimalisme et ceux qui, au contraire, pensent que le vide doit toujours être rempli, lesquels ont remporté le combat. Mais en voyant La Désolation de Smaug, on se dit que Jackson, qui était dans les années 2000 parmi les meilleurs réalisateurs de blockbusters hollywoodiens, est simplement en train de signer la meilleure série télé sur grand écran de la décennie 2010…

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