Émilie Geymond : en présence d'une clown

Émilie Geymond : en présence d'une clown
Cléopâtrak

Grenoble

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Alors qu'elle brille en gouailleuse Môme Crevette dans la mise en scène de "La Dame de chez Maxim" (Feydeau) d'Emmanuèle Amiell, on a rencontré la comédienne Émilie Geymond qui vient tout juste de créer son premier seule-en-scène clownesque baptisé "Cléopâtrak".

Émilie Geymond semble habitée par le clown. Pourtant, derrière son humour ravageur, les accents qu'elle emploie et les diverses expressions de son visage, la comédienne grenobloise de 37 ans cache une profonde timidité. « À l'école déjà, jouer un rôle m'aidait à vaincre mon trac. Je mettais une perruque lors des exposés. Avec cet accessoire, je ne tremblais plus, ça allait directement mieux. »

C'est donc tout logiquement perruquée qu'elle se retrouve aujourd'hui sur le plateau pour défendre son premier seule-en-scène Cléopâtrak, dans lequel elle se met dans la peau de la reine d'Égypte. Une réine délurée qui oscille avec brio entre le gag comique (elle trébuche sans cesse) et la tragédie, puisqu'elle tente par-dessus tout de se donner la mort. Un spectacle prometteur créé il y a quelques mois qui commence tout juste sa vie sur les scènes grenobloises – il sera à la Basse cour fin avril, et au Midi / Minuit fin juin.

« Je ne sais pas faire autre chose que le clown »

Cet art de la mise en scène et cette maîtrise précise des personnages développés dans Cléopâtrak, la comédienne les doit à des années d'expérience. C'est à 14 ans, pendant ses cours de danse, qu'elle se confronte véritablement à la comédie. « Mon prof m'écrivait des rôles de comédies. J'étais assez tête en l'air, je faisais rire mais je ne savais pas trop pourquoi. » La voie est ouverte.

En 2002, elle s'inscrit à la faculté de psychologie de Grenoble et intègre parallèlement le conservatoire de théâtre pour une formation qui, comme elle s'en rappelle, commence périlleusement. « Je voulais absolument faire rire. Alors mon premier bide a été super difficile. J'improvisais sur le thème du départ et mon prof n'arrêtait pas de me répéter : Émilie, on se fait chier. L'émotion a pris le dessus sur le cérébral, je n'avais plus aucune idée d'impro ! Après cet échec, je ne suis pas sortie de chez moi pendant deux semaines : ma mère me servait des plateaux-repas dans ma chambre. J'avais la honte infusée dans chacune de mes cellules. »

Pendant cinq ans, Émilie Geymond se cherche artistiquement, jusqu'au jour où le déclic survient. « Je venais de subir un bide et j'avais baissé les yeux de honte. Un spectateur m'a dit qu'il avait trouvé cette attitude très attendrissante. J'ai alors réalisé que la fonction du clown n'était pas toujours de faire rire, mais de toucher. J'ai su immédiatement que le théâtre que je voulais pratiquer n'était pas le théâtre "aimez-moi" comme beaucoup le font, mais plus comme un cadeau. C'est ce qu'on retrouve dans l'art du clown, dans lequel on livre une partie de nous, nos défauts et nos qualités. Aujourd'hui, je ne sais pas faire autre chose que le clown. »

« Jouer des personnages qui ne vont pas »

De ces expériences, toujours au conservatoire, naît l'idée de Cléopâtrak. « On jouait Britannicus de Racine. J'ai étouffé beaucoup de fous rires pendant ces scènes de tragédie. Il y avait toujours des accidents, comme ma robe qui se coinçait dans la chaise. Je voulais jouer cette femme qui persiste à terminer la pièce quoi qu'il lui arrive. Puis à un moment, elle met un stop au code de la tragédie. C'est là qu'elle s'effondre et qu'elle tombe dans la véritable tragédie. »

Mais elle a dû attendre 2017 pour véritablement dévoiler son personnage au public. Entre temps, la comédienne a foulé de nombreuses planches. Sortie du conservatoire en 2007, des metteurs en scène du coin comme Jean-Vincent Brisa, Marie Brillant, Grégory Faive, Emmanuèle Amiell ou encore Pascale Henry ont utilisé son naturel comique. En 2008, elle monte aussi, aux cotés de Doriane Salvucci et Sylvie Ducas, Les Chatoyantes, sorte de trio musique, chant et clown. Ensemble, elles créent Le Disque usé, spectacle souvent vu dans l'agglo dans lequel Émilie Geymond joue le rôle d'Isabella, « une neurasthénique pleine de bleus à l'âme ». « À la fin de la pièce, je chante Bang Bang de Nancy Sinatra et les spectateurs ne savent pas s'ils doivent pleurer ou rire. J'adore jouer ces personnages qui ne vont pas ! »

Mais les racines de Cléopâtrak sont aussi à chercher dans un autre personnage qu'Émilie Geymond a créé : Marie-Christine Duval, « petite vieille coquette au cœur tendre qui a la tchatche et sait tout sur tout » qu'elle incarne épisodiquement (une visite dans un musée, une ouverture de saison dans un théâtre...) à partir de 2007. « Je l'ai créée à partir d'accessoires récupérés de mes arrière-grands-mères. Je voulais faire quelque chose basé sur la transmission, c'est très important pour moi. »

« Viser les gens droit au cœur »

Logique donc que, depuis 2004, elle transmette son expérience lors d'ateliers clown pour adultes et collégiens. « Avec les adultes, c'est plus compliqué. La frontière avec la psychothérapie et l'art d'être soi-même est trop fine. Et puis, je ne me sens pas toujours légitime de les coacher. Mais avec les collégiens, c'est vraiment différent. J'étais tellement mal dans ma peau quand j'étais jeune que j'ai envie de les motiver, de leur dire : ayez confiance en vous, on a tous un truc génial ! » En famille, c'est le même combat, puisqu'elle initie son fils à la comédie depuis son plus jeune âge. « Avec mon conjoint, qui est aussi clown, on a un petit jeu. Notre fils fait le pitre, on le regarde fixement comme si ce n'était pas si drôle. C'est une manière de lui montrer comment se servir du bide comme un appui de jeu, comment le vivre et jouer avec. »

Côté projets, la comédienne a monté en février dernier Les 600 Cibles avec son mari Olivier Boujon, compagnie dans laquelle ils ont intégré Cléopâtrak. L'objectif du couple est de proposer des spectacles pour « viser les gens droit au cœur ». Et on la retrouvera aussi dans des mises en scène d'artistes grenoblois, et notamment dans deux spectacles à venir avec Grégory Faive : À quoi servent les points-virgules ?, où ils se mettent tous les deux en scène dans un texte de Serge Papagalli (en mai à Voiron, en décentralisation), et Tout va s'arranger, adaptation visiblement très libre de La Mouette de Tchekhov présentée comme la suite du succès Pourvu qu'il nous arrive quelque chose de Grégory Faive. Avant, on l'imagine, de nombreuses autres aventures pour cette artiste que nous suivons depuis des années au PB (on lui avait même décerné le Petit Bulletin d'or du meilleur espoir en 2012, c'est dire) et que nous n'avons pas prévu de lâcher !

Cléopâtrak
À la Basse Cour mercredi 25 avril
Au Midi/Minuit du mardi 26 juin au dimanche 1er juillet
Au Festival de la cour du vieux temple vendredi 24 août

La Dame de chez Maxim
Au Théâtre municipal de Grenoble vendredi 6 et samedi 7 avril
Au Jeu de paume (Vizille) vendredi 25 mai

À quoi servent les points-virgules ?
Dans le cadre des Escales, le Grand Angle en pays Voironnais du mercredi 2 au samedi 5 mai


Repères

4 août 1980 : Naissance à Tunis. Elle arrive à six mois en France

2002 - 2007 : Conservatoire national de région de Grenoble

2007 - 2008 : Les Fourberies de Scapin de Jean-Vincent Brisat

2007 : Création du personnage de Marie-Christine Duval

2008 : Création du trio Les Chatoyantes

2010 : Les Mères veillent avec la compagnie Telkel

Octobre 2017 : Première représentation de Cléopâtrak au Théatre du Poulailler (Trièves)

Février 2018 : Création de la compagnie Les 600 Cibles

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