Mardi 17 octobre 2023 Marquant la quinzième collaboration de Ken Loach avec Paul Laverty et sa vingtième présence à Cannes, "The Old Oak" parle de la situation des migrants autant qu’il ressuscite la mémoire des combats syndicaux. Un hymne à la tolérance, à l’entraide et...
"Sorry We Missed You" : on achève bien les prolétaires ubérisés
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 21 octobre 2019
Photo : ©Joss Barratt
Sorry we missed you
De Ken Loach (Alg-Belg-Fr, 1h40) avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood...
Un intérimaire se lance dans l'entrepreneuriat franchisé avec l'espoir de s'en sortir... précipitant ainsi sa chute et celle de sa famille. Par cette chronique noire de l'ère des Gafa, Ken Loach dézingue toujours plus l'anthropophagie libérale. En compétition lors du dernier Festival de Cannes.
Newcastle, de nos jours. Abby et Ricky s'en sortent tout juste avec la paie de l'une et les intérim de l'autre. Alors, Ricky convainc son épouse de vendre leur voiture pour acheter un utilitaire afin de devenir livreur "indépendant". Le mirage d'une vie meilleure s'offre à eux : le début de l'enfer.
D'aucuns pourraient reprocher (c'est une figure de style : en fait, ils le font) à Ken Loach de rabâcher sous toutes les formes sa détestation du modèle capitaliste. Ou d'avoir joué depuis trente ans les prophètes de mauvais augure en dénonçant avec constance les ravages de la politique thatchéro-reagano-libérale qui, ayant désagrégé le tissu socio-économique britannique, n'en finit plus de saper ce qu'il reste de classe moyenne, après avoir laminé les classes populaires, au nom de la "libre" entreprise, "libre" concurrence... bref de toute cette belle liberté octroyée au haut de la pyramide pour essorer le lumpenprolétariat.
Trente ans que Loach essuie les mêmes remarques condescendantes des partisans du marché (qui le voient comme les éditorialistes considèrent Greta Thunberg) et se trouve a contrario encensé par les gauchistes. Mais trente ans que les faits lui donnent obstinément raison, la situation s'aggravant.
Ils vécurent (pas si) heureux...
Dans la lignée de It's a free World (2007) qui révélait déjà l'exploitation des misérables par des moins pauvres qu'eux (anticipant avec une stupéfiante prescience le principe de l'ubérisation – c'est-à-dire augmenter la précarité ainsi que les intermédiaires – et son répugnant succès), Sorry We Missed You montre que ce mirage économique constitue une servitude pire que la condition ouvrière du XIXe siècle, dans la mesure où elle est consentie et donne l'illusion à sa victime qu'elle est décisionnaire de son sort. "Petit patron" tributaire du bon vouloir d'un chef lui-même aux ordres d'un groupe, Ricky est piégé par sa supposée liberté dont il découvre à ses dépens à quel point elle est encadrée et qu'elle ne souffre aucune tolérance.
Si Loach et Laverty, son scénariste, sont comme toujours d'une rigueur clinique dans la mise en place du contexte économique, ils transcendent ce cadre pour faire drame en l'habillant de vie et d'humanité – ici douloureuse. La situation de Ricky ne provoquerait pas une telle empathie sans les interactions familiales : les relations en dents de scie avec ses enfants, contrecoup de ses tensions professionnelles, sont très prévisibles mais donnent toute la chair à ce récit qu'il faut accepter comme une ultime sommation. On ne sait pas à la fin du film ce qu'il adviendra des personnages, mais tout indique que le mot "heureux" sera clairement de trop...
Sorry We Missed You
De Ken Loach (G.-B.-Bel.-Fr., 1h40) avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone...
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 9 juin 2020 Inscrits dans un contexte historique similaire, deux films d'Amérique latine sont à découvrir prochainement, mais pas sur les mêmes écrans. Nous vous les présentons toutefois en parallèle l'un de l'autre.
Mardi 17 décembre 2019 De Diao Yinan (Chi., avec avert. 1h50) avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan…
Mardi 10 décembre 2019 L’inéluctable destin d’un paysan autrichien objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre Mondiale, résistant passif au nazisme. Ode à la terre, à l’amour, à l’élévation spirituelle, ce biopic conjugue l’idéalisme éthéré avec la sensualité de la...
Mardi 19 novembre 2019 Il y a quelques années, Ladj Ly tournait "Les Misérables", court métrage matriciel dont l’accueil a permis (dans la douleur) la réalisation de son premier long en solo. Primé à Cannes, il est à présent en lice pour représenter la France dans la...
Mardi 12 novembre 2019 Et si le bonheur de l’humanité se cultivait en laboratoire ? Jessica Hausner planche sur la question dans une fable qui, à l’instar de la langue d’Ésope, tient du pire et du meilleur. En témoigne son interloquant Prix d’interprétation féminine à...
Mardi 5 novembre 2019 Avant de remporter le Grand Prix de la Semaine de la Critique (une première pour un film d’animation) et le Cristal à Annecy, le premier long-métrage de Jérémy Clapin a connu une lente maturation en dialogue et confiance avec son producteur ainsi...
Jeudi 24 octobre 2019 De Marco Bellocchio (It.-Fr.-All.-Br., avec avert. 2h31) avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane…
Mardi 3 septembre 2019 Sortie triomphalement au printemps, "Parasite" de Bong Joon-ho, la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, laisse un boulevard aux films de l’automne, qui se bousculent au portillon. À vous de les départager ; ex aequo autorisés.
Jeudi 25 juillet 2019 Les coulisses de l’usine à rêves à la fin de l’ère des studios, entre petites histoires, faits divers authentique et projection fantasmée par Quentin Tarantino. Une fresque uchronique tenant de la friandise cinéphilique (avec, en prime, Leonardo...
Dimanche 2 juin 2019 Une famille fauchée intrigue pour être engagée dans une maison fortunée. Mais un imprévu met un terme à ses combines… Entre "Underground" d'Emir Kusturica et "La Cérémonie" de Claude Chabrol, Bong Joon-ho revisite la lutte des classes dans un...
Mardi 21 mai 2019 Une psy trouve dans la vie d’une patiente des échos à un passé douloureux puis s’en nourrit avec avidité pour écrire un roman en franchissant les uns après les autres tous les interdits. Et si, plutôt que le Jim Jarmusch, "Sybil" de Justine Triet,...
Mercredi 15 mai 2019 Quelle mouche a piqué Jim Jarmusch (ou quel zombie l’a mordu) pour qu’il signe ce film ni série B, ni parodique, ni sérieux ; ni rien, en fait. Prétexte pour retrouver ses copains dans une tentative de cinéma de genre, ce nanar de compétition figure...
Mardi 14 mai 2019 Un cinéaste d’âge mûr revisite son passé pour mieux se réconcilier avec les fantômes de sa mémoire et retrouver l’inspiration. Avec son nouveau film en compétition au Festival de Cannes, Pedro Almodóvar compose une élégie en forme de bilan personnel...
Mardi 9 avril 2019 « Les emmerdes, disait Chirac, ça vole en escadrille. » Quand on est dans la mouise, il pleut de la caillasse tous les jours, ajouterait Ken (...)
Mardi 30 janvier 2018 de Mahamat-Saleh Haroun (Fr., 1h40) avec Eriq Ebouaney, Sandrine Bonnaire, Bibi Tanga…
Mardi 6 décembre 2016 Deux ans avant de recevoir sa seconde Palme d’Or, Ken Loach avait présenté à Cannes un film faisant écho à la première récoltée en 2006 pour Le Vent se lève, Jimmy’s (...)
Lundi 24 octobre 2016 Force tranquille toujours aussi déterminée, Ken Loach s’attaque avec "Moi, Daniel Blake" à la tyrannie inhumaine des Job Center, vitupère les Conservateurs qui l’ont organisée… et cite Lénine pour l’analyser. Ouf, les honneurs ne l’ont pas...
Lundi 24 octobre 2016 Lorsqu'un État fait des économies en étouffant les plus démunis, ceux-ci s’unissent pour survivre en palliant sa criminelle négligence. Telle pourrait être la morale de cette nouvelle fable dramatique emplie de réalisme et d’espérance, qui a valu à...
Mardi 1 juillet 2014 Ken Loach retrouve sa meilleure veine avec ce beau film autour d’une utopie réconciliatrice dans l’Irlande du Nord encore meurtrie par la guerre civile, ruinée par les archaïsmes de l’église et l’égoïsme des possédants.
Christophe Chabert
Dimanche 25 mai 2014 "Jimmy’s hall" de Ken Loach (sortie le 2 juillet). "Alleluia" de Fabrice Du Welz (date de sortie non communiquée). "Whiplash" de Damien Chazelle (sortie le 24 décembre). "Sils Maria" d’Olivier Assayas (sortie le 20 août). "Leviathan" d’Andrei...
Vendredi 13 septembre 2013 À sa création, le Petit Bulletin n’était qu’une page imprimée recto-verso, avec en ouverture un édito et, juste après, les programmes de cinéma. Quand le journal (...)
Lundi 25 juin 2012 Décidément, la comédie n’est pas le fort de Ken Loach et son scénariste Paul Laverty : cette pochade à l’optimisme forcé sur les tribulations dans le monde du whisky d’une bande de petits délinquants écossais relève du bâclage paresseux et du...