Dock Soldier

A la tête du bar Le Dock depuis maintenant une quinzaine d’années, Jacques assure vaillamment la survie de l’un des derniers lieux estampillés rock de Grenoble. Portrait. FC

En l’an de grâce 2010, l’essentiel de la faune noctambule grenobloise se concentre dans un centre-ville rendu exsangue par la politique que l’on qualifiera, pour reprendre le bon mot d’un estimé collègue lyonnais en son temps, du “quiet sound“. Mais au cœur de la rue Charrel, à quelques mètres du cours Jean Jaurès, un lieu, le Dock, se bat pour sa singularité rock à fleur de peau. Derrière cette enseigne discrète, un homme seul contre l’hégémonie nocturne : Jacques. Avant de reprendre le lieu en 1995, il a fait ses armes comme saisonnier, puis dans un bar de St-Bruno et ensuite à Vizille, dans une ambiance plus familiale. C’est dans ce dernier endroit qu’il prend sur lui d’instaurer des concerts récurrents afin de planter une ambiance qui lui sied ; mais il remarque bien vite que la scène locale vizilloise du début des années 90 n’est pas aussi active qu’espérée… Quand les anciens gérants du Dock, un lieu déjà assimilé rock’n’roll aussi bien pour le son que pour ses horaires que l’on taxera de fluctuants pour euphémiser comme des sales, décident de céder la place, Jacques saute sur l’occasion. Le souvenir des précédents darons le poursuivra le soir de l’inauguration : en signe de bienvenue, la maréchaussée grenobloise lui colle une prune pour tapage, mais ce sera là son unique intervention sous le règne de Jacques – notre homme est aussi prudent que respectueux.L’appel du dark
Bien sûr, dès ses débuts, Jacques veut poursuivre dans la voie du café-concert qui lui est si chère, mais il se rend vite compte que le voisinage de la rue Charrel risque de déchanter, lui. L’initiative tourne donc court au bout de quatre soirées, remplacée par des soirées à thème toujours d’actualité aujourd’hui, sur des thématiques quotidiennes variées (punk, ska ou blues). Ce qui marche le mieux, jusqu’à la fin des années 90, ce sont les soirées goth et électro, avec leur atmosphère « dansante et vraiment cool, contrairement à l’image que peuvent en donner les médias ». Avec cette remarque, Jacques ne joue pas les conspirationnistes, mais garde en souvenir, sans mauvaise rancune pour autant, une journaliste de la sixième chaîne venue soi-disant pour interviewer un groupe dans son bar, mais qui au finish utilisera les images (dont celles, forcément identifiables, du Dock) pour un reportage sur les sectes… La pilule est dure à avaler, mais ses effets disparaissent bien vite. Puis vient l’idée qui fera l’identité du Dock nouvelle version : faire des apéros concerts, de 19h30 à 22h30, histoire de ne gêner personne (bon, c’est sûr qu’avec ses jeunes voisins d’aujourd’hui, dont Jacques tient chaleureusement à saluer la tolérance, les choses sont plus faciles !). Les groupes invités jouent tous le jeu, et ne dépassent pas un volume sonore décent. Bon nombre de formations encore actives (citons FTG, Marquise ou Chocolate Pain) font leurs débuts au Dock, d’autant que depuis la fermeture du mythique Entre-Pot, c’est peu dire que la nuit grenobloise manque d’un lieu moteur pour le rock. Une esthétique que Jacques défend à la fois par goût personnel (avec des affinités allant des Rolling Stones à la New Wave en passant par Supertramp), mais aussi pour pallier un manque endémique dans le paysage local. Un camarade lui crée une page myspace pour battre le rappel, avec déjà pour mention explicite «Bougez-vous le cul !», encouragement explicite à faire vivre la scène rock locale. A terme, ce seront surtout les formations métal de l’agglo grenobloise qui répondront à l’appel, quitte à enfermer le lieu dans cette image. Survivor
Le métal, Jacques, ça ne le dérange pas, au contraire même. Au fil des ans, il redécouvre avec toujours autant d’entrain de jeunes formations venir dans son bar pour le plaisir de jouer et non pour l’appât du gain (reconnaissons aux jeunes d’aujourd’hui au moins cette lucidité-là) – « Pour des artistes qui viennent jouer dans un bar, c’est assez carré en général. Mais surtout, tous ceux qui viennent ici créent quelque chose, je le vois dans le public, les gens sont toujours contents de participer à ces soirées ». Pour exigu que soit l’endroit quand on dépasse les 80 personnes, un live au Dock est effectivement un moment privilégié, convivial, laissant quantité de bons souvenirs dans une scène locale dont Jacques aimerait voir plus de représentants d’autres styles. « Il faut que les chanteurs français ou les bluesmen s’agitent un peu, qu’ils viennent nous voir ! J’incite même les groupes à venir faire une répèt’ ici s’ils le souhaitent ». Un enthousiasme quand même sérieusement tempéré par la précarité de son activité, en dépit de quinze années d’activité parlant a priori d’elles-mêmes. « C’est une activité qui est latente, en dents de scie. Par exemple, l’an dernier, la saison a repris mi-août, et cette année, il a fallu attendre mi-septembre… Pendant de nombreuses années, j’ai souvent travaillé à côté pour faire la liaison, parce que travailler de 19h à 1h ne suffit pas. Je faisais de l’intérim, ce que je trouvais, souvent du montage d’ascenseur, ou de la chimie. Jusqu’au jour où un accident de travail a failli me faire perdre une jambe – je garde toujours des petites séquelles ». Même en évoquant ce délicat souvenir, et de facto toutes ses fâcheuses conséquences pécuniaires, Jacques ne se dépare pas de sa douce bonhomie, se repose moralement sur ses innombrables souvenirs de lives passés et sur l’expectative de ceux à venir. En gros ça fait près de quinze ans, depuis ses débuts, que le Dock et son taulier sont sur la corde raide, mais survivent malgré tout. « Chaque fois que je me dis que je devrais fermer, les affaires repartent ! Au pire, je pourrais ouvrir dans une autre région, ou me recycler dans un gîte de montagne ». Jacques a de la réserve, mais ce serait quand même peu sport, vu le boulot qu’il a abattu jusqu’ici (seul), de le forcer à cette extrémité, vous en conviendrez. Le Dock
21 rue Charrel, ouvert de 19h à 1h. 06 66 55 17 14.

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