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Sens interdits, jour 2 : Une rigoureuse rigueur
Par Nadja Pobel
Publié Dimanche 23 octobre 2011
Conférence sur la résistance et le théâtre. Comida Alemana (Chili). Vérité de soldat (France-Mali).Nadja Pobel
Avant de filer voter en Tunisie ce dimanche, Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, créateurs de "Yahia Yaïch Amnesia", se sont arrêtés aux Célestins pour discuter avec le public sur le thème «théâtre et résistance». Où l'on a pu entendre des paroles justes qui glacent le sang. Ils ont subi la censure sous Ben Ali, bien sûr (parfois de manière totalement ridicule : il ne fallait pas placer le mot Internet dans ce spectacle "Amnesia" car le chef d'Etat était un adepte de la toile et c'était donc l'évoquer indirectement !), mais la censure la plus grande vient probablement du public que des décennies de dictature ont crétinisé : «Rendez-vous compte, le public n'a par exemple connu qu'une chaîne de télévisions, celle du parti unique depuis 56 ans !» précise Fadhel Jaïbi. Puis il y a l'auto-censure. Comme d'autres artistes, ils ont dû composer avec les interdits sans se renier pour ne pas être empêché de jouer. Mais cette censure n'est pas tombée comme par magie le 14 janvier dernier. «Je ne suis jamais senti autant traqué et menacé dans ma chair que depuis la chute du régime. Les forces contre-révolutionnaires sont en marche messieurs, dames» dit-il gravement précisant qu'avec sa troupe, ils n'ont pas été emprisonné sous Ben Ali, qu'ils n'ont pas été blessé à l'arme blanche mais qu'ils le craignent pour l'avenir. «Les salafistes ne sont pour rien dans la révolution mais ils essayent de la récupérer», envahissant par exemple il y a dix jours les locaux de la chaîne privée Nessma car elle venait de diffuser "Perselopolis", le film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. Alors il reste une solution : débattre, débattre, débattre. «Ben Ali s'est enrichi certes, mais il a surtout anéanti la conscience des Tunisiens, il n'y a plus de débat depuis les années 80». Il va falloir rétablir cela. Et le duo d'artiste insiste : il faudra du temps. «Aujourd'hui les artistes sont disloqués, disséminés. 56 ans c'est long. Il faut ramasser les morceaux épars pour que l'on se réconcilie avec ceux qui ont fui, ceux qui ont louvoyé avec le pouvoir et les autres. Ce pays est encore malade mais il vit. Il faut y croire même s'il n'y aura pas de miracle. Pour nous ce combat est un sacerdoce, ce n'est pas une plaisanterie mais il faut le dire en riant» dit-il encore. Avant de conclure par un plaidoyer sur l'art : «Longtemps dit Fadhel, j'ai pensé sincèrement que l'art ne servait à rien sinon à s'alimenter lui-même. Mon seul espoir désormais est de me dire que la situation politique aurait pu être pire sans l'art».
On n'est pas là pour rigoler
Ce festival Sens interdits n'a fait aujourd'hui qu'entériner les propos de la troupe d'“Amnesia“. Avec Comida Alemana (aux Ateliers jusqu'au lundi), le tout jeune (32 ans) metteur chilien Cristián Plana a transposé le "Dramuscule" de Thomas Bernhard dans son pays, dans une société bienfaitrice sectaire fondée par des immigrants allemands (protestants et membres de groupes nazis) au début des années 60. Des silences percés par des cris déchirants. Voilà qui est commun à "Amnesia" vu la veille. Est-ce à dire que face à la répression (en Tunisie) ou la barbarie (les enfants de "Comida Alemana" ont subi des viols), il n'est possible de faire face que par ces deux réactions extrêmes ? C'est en tout cas ce que dit ce court spectacle (50 min) d'une beauté plastique évidente. Tout est fait pourtant pour que ces cris soient étouffés à la manière dont Michael Haneke (tiens, un autre Autrichien !) a contenu la douleur des enfants dans "Le Ruban Blanc". Les six jeunes chantent religieusement des lieder sous les yeux sans pitié de leur servante et tentent de manger leur plat de nouilles mais ils ne voient dans leur assiette que des nazis ! Le cauchemar allemand est si traumatique qu'aujourd'hui encore il est nécessaire pour un jeune Sud-américain de s'en emparer afin de mieux l'expurger.
Conte africain
Dernier acte de la journée à la Croix-Rousse avec Vérité de soldat (joué jusqu'à lundi). Le metteur en scène Patrick le Mauff (qu'on pourra retrouver acteur dans la trilogie "Des femmes" de Wajdi Mouawad aux Célestins en novembre) nous emmène au Mali et dresse le tableau de 50 ans de pouvoir houleux depuis l'indépendance en 1959. Problème : il y a peu de mise en scène dans ce spectacle où le texte est débité à la mitraillette durant 1h45. Le Mauff nous propose plus un spectacle de conte moderne que du théâtre et ne s'appuie que trop brièvement sur des images vidéos. Peu de déplacements, un des trois protagonistes placé la plupart du temps hors de vue du public, dans les escaliers de la salle : on peut fermer les yeux et écouter ce récit sans rien perdre du spectacle. Probablement que "Vérité de soldat" aurait gagné à être joué dans l'intimité d'un petit lieu plutôt que dans cette immense salle où le récit se perd et nous perd en cours de route.
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