Pinback to the future

Venu d'un temps révolu mais qui nous hante toujours, le duo californien Pinback s'apprête à transformer la scène de l'Épicerie Moderne en forteresse imprenable. Avec pour seule arme une pop empoisonnée, obsédante et immortelle. Stéphane Duchêne.

Si la meilleure chanson de Pinback se nomme Fortress, c'est sans doute que ce duo est à sa manière l'un des derniers bastions du rock indépendant américain à l'ancienne, témoin tardif d'un âge d'or qui sentait le plomb : soit ce temps béni (ou maudit) des 90's grisâtres et dépressives où la génération X a enterré les illusions de ses parents avec des guitares en guise de pelles. Car paradoxalement, c'est à la fin de cette décennie, quand le rock indépendant s'apprêtait à laisser la place au retour en grande(s) pompe(s) du rock – les pompes des White Stripes et autres Strokes – qu'est apparu ce duo basé à San Diego. Non que les deux têtes pensantes du groupe, Rob Crow et Armistead Burwell Smith IV, n'aient pas eu leur lot d'expériences indé, plutôt hardcore d'ailleurs, puisque Pinback est au départ un projet parallèle qui finit par avoir des airs de tangente qui tend vers l'infini.

 

Cœur révélateur

L'époque est à une sorte d'éloge de la lenteur et de la répétition. Comme un antidote aux prémisses d'un emballement planétaire qui semble chercher une ivresse un peu vaine dans un culte de la vitesse devenu nouvel absolu, cette dromologie (ou logique de la course) sur laquelle dissertera beaucoup l'urbaniste Paul Virilio et que le 11 septembre oblitérera par le tragique et l'absurde de l'inconcevable. On retrouve alors chez Pinback une manière qui empreinte aux cendres éparpillées du grunge mais avec quelque chose d'à la fois plus flamboyant, plus appliqué et plus mélancolique et surtout un travail sur la rythmique qui rappelle celui de Swell. Une sorte de tachycardie qui, comme dans le Cœur révélateur de Poe, finit par jaillir du plancher pour envahir la psyché, victime de son propre emballement. Ainsi, sur Rousseau, extrait de l'inaugural This is a Pinback CD : «Something's wrong with my soul/My heart beats from the outside» («Il y a un truc qui cloche dans mon âme, mon cœur bat à l'extérieur»), terrible aveu de perte de contrôle.

Avec Swell, Low ou d'autres, Pinback brandit une bannière étiolée, celle des Etats désunis d'âmérique, sans se départir d'une certaine grandeur et d'une ambition musicale qui ne se contente pas du dépouillement alors érigé en dogme. Car Pinback voit plus loin, comme l'indique les titres des morceaux de son premier album qui voyage de Tripoli (réécouter ce titre tout en douceur, dans le contexte actuel, est une savoureuse expérience) à Versailles, cite Montaigne et Rousseau donc, mais sans rien en dire, au gré de textes volontairement abstraits. Pour reprendre les propos de Voltaire à propos de Montaigne (le vrai), Pinback «peint sous son nom nos faiblesses et nos folies mais ne les nomment pas elles-mêmes». À chacun d'y retrouver ses petits et ses grands maux. Et en Pinback un grand remède.

Penelope

C'est que Pinback a ceci de particulier qu'il roule sur un macadam à deux voix : à la première, en dedans, monocorde et sèche, s'en superpose une seconde plus aérienne, qui laisse à penser que l'envol est possible, que dans la tangente dont l'on parlait, il y a une ligne de fuite, comme contrepoids ou contrepoint, à la pesanteur de morceaux faussement terriens. C'est d'ailleurs sans doute ce qui explique le goût du groupe pour les voyages immobiles et les évocations géographiques, ce goût pour l'exotisme atavique des ancêtres qui a toujours poussé les Américains à nommer leurs villes d'après des noms de cités européennes, comme pour créer une sorte d'attachement au vieux monde, en même temps qu'une sorte de confusion fantôme.

D'album en album — rares, malgré la longévité du groupe — Pinback semble, comme symbolisé par le titre Penelope, sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier, faisant, défaisant et refaisant la même tapisserie. La répétition toujours comme pour lutter contre le temps, créant via une sorte de bienveillante torpeur une addiction irrépressible, une ballade éternelle : «I'd take you to the bridge / But the bridge has seen better days / I'd take you out to the park./ We don't know who's working there tonight.» («Je t'emmènerais sur le pont / Mais le pont a connu des jours meilleurs / Je t'emmènerais promener au parc / Nous ne savons pas qui travaille là ce soir»). Si cela vous rappelle certaines de vos promenades mélancoliques c'est normal, la chanson, qui figure sur le premier album du groupe s'appelle Lyon. Et si elle ne parle pas vraiment de Lyon, ou d'un autre Lyon, ailleurs, ce n'est pas grave, on peut prendre le temps de faire comme si. Et arrêter l'espace et le temps, blotti au creux de la forteresse Pinback.

 


Pinback - Fortress par shades2006

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