Après le transcendant et transcendantal "Circles", Moon Duo s'est mis un peu à l'ombre pour accoucher de "Shadow of the Sun" et développer plus avant la face noire de son essence psychédélique. Et quand on dit essence, c'est à tous les sens du terme. Stéphane Duchêne
C'est Sacred Bones, leur label, qui l'affirme officiellement : le dernier album de Moon Duo, Shadow of the Sun contient «des rythmes dansants, des riffs répétitifs, des boogies de camionneur cosmiques et même un joli moment d'extase.» Inutile de dire que pour rivaliser avec le précédent album du duo, qui en est à son troisième, il fallait au moins ça : des boogies de camionneur cosmiques.
Cela étant posé, on en déconseille fortement l'écoute au volant. Car les deux psychédéliciens que sont Ripley Johnson et Sanae Yamada sont deux psychotropes vivants n'en formant qu'un, plus puissant. Et ce d'autant plus qu'on en prolonge l'usage ou augmente les doses, ce qui est le cas à chacune de leur nouvelle production.
Dream Machine
De fait, et en cela la référence routière est loin d'être vaine, Shadow of The Sun développe un peu plus loin que ne le faisait Circles (tournant autour de la figure du poète transcendental Ralph Waldo Emerson) une espèce de routine confinant à l'hypnose, effectivement semblable à la sensation d'avaler des kilomètres, de la bande blanche et les effets stroboscopiques de lampadaires semblables à la Dream Machine de Bryon Gysin – terrain idéal pour ces phases de micro-sommeil qui font des ravages sur les routes (Night Beat est de ce point de vue aussi redoutable que bien titré).
Point donc de psychédélisme éthéré ou floral ici. On est dans le dur du ruban bétonné et bordé de murs du son, l'ombragé et l'ombrageux (Zero flirte avec le film de série B mis en musique par un jeune Robert Smith perturbé – enfin plus perturbé), plus lune que soleil, éclipse que pleine lumière irradiant depuis les portes ouvertes de la perception (qui pourtant filtre à travers In a Cloud, le fameux moment d'extase).
Peut-être faut-il y voir l'ombre portée justement, à l'occasion de cet album, d'un déménagement du groupe de la baie mi-fog, mi-soleil de San Francisco vers l'Oregon mouillé de Portland (par ailleurs capitale mondiale même si largement officieuse du cool) puis Berlin (même remarque que précédemment mais en version officielle).
De ce voyage voulu comme immobile car initié dans un rare moment de temps mort, sans parvenir à tenir en place géographiquement, Moon Duo a inventé de nouveaux modes de transport qui dépassent de loin le simple camion. Quand bien même celui-ci roulerait au "boogie cosmique", c'est bien d'élévation par le rase-bitume qu'il s'agit.
Moon Duo [+ Quetzal Snakes]
Au Marché Gare jeudi 16 avril