Après la déculottée "Télé Gaucho", le duo Baya Kasmi-Michel Leclerc reprend une partie des ingrédients qui avaient fait du "Nom des gens" une recette gagnante. Bien que réchauffée, leur cuisine demeure assez savoureuse ; il faudra quand même veiller à changer la carte !
Trop sympa, Hanna Belkacem : elle se plie en quatre (au sens propre) pour les autres. Comme son père Omar, un épicier vendant à perte sa marchandise, à la grande joie de sa clientèle. Il n'y a qu'avec son frère que le courant passe mal : depuis que Donnadieu se fait appeler Hakim et qu'il pratique l'Islam avec le zèle intransigeant des convertis, leurs relations sont houleuses. Mais Hakim a besoin d'une greffe de rein ; Hanna étant compatible, la réconciliation s'impose...
Cette "névrose de la gentillesse" affectant une jeune femme introvertie, semblant préférer satisfaire à l'horizontale (voire à la verticale) son interlocuteur plutôt que d'avoir à lui opposer un refus ou à lui causer de l'embarras, n'est pas en soi une nouveauté : Luc Pagès en avait fait le sujet central d'un fameux court métrage, Ada sait pas dire non (1995). Baya Kasmi ne s'arrête pas à cet argument léger et gaudriolesque ; comme pour Le Nom des gens – où l'héroïne "convertissait" les hommes de droite à la pensée progressiste en couchant avec eux –, il s'agit ici d'un point de départ.
Au pieu ou au pieux ?
Sans renoncer à la comédie, en usant de nombreux quiproquos, elle va donc expliquer l'origine du comportement déluré d'Hanna, mais surtout pourquoi son frère a glissé vers un radicalisme religieux auquel sa famille était étranger — là réside le centre névralgique du film. Comment cet adolescent mal dans sa peau s'est trouvé une contenance sociale et une place par l'adoption mimétique des codes du groupe dominant dans sa cité, en amalgamant origines et culte.
Si Baya Kasmi montre à quel point la dévotion de ce nouveau fidèle est jugée excessive par ses coreligionnaires, elle en profite aussi pour ironiser sur ces cyniques marchands du temple contemporains, faisant du business avec le halal. Impossible donc de prêter à la réalisatrice quelque intention anti-musulmane que ce soit. Inutile également de lui faire de mauvais procès pour exploitation sexiste du corps féminin — Vimala Pons se trouve sans doute moins dénudée à l'image que certains de ses partenaires de siestes canailles.
Hantée par un désir trouble de censure de principe, l'époque est nauséeuse, propice à l'expression de tous les intégrismes... surtout ceux visant à restreindre la liberté d'expression artistique en se réclamant de valeurs éthiques ou spirituelles. Ces esprits racornis feraient bien de se laisser tenter par un somme...
Je suis à vous tout de suite
De Baya Kasmi (Fr, 1h40) avec Vimala Pons, Mehdi Djaadi, Agnès Jaoui...