Sport / Aux États-Unis, l'image des Amérindiens (et sa réhabilitation) est aussi devenue un enjeu sur les terrains de sport, où un mouvement est en marche qui tente de faire débaptiser les clubs sportifs emblématiques portant des surnoms liés à une caricature de l'identité indienne.
Dans les années 80, l'activiste et acteur lakota Russell Means déplorait : « bien que le Vatican ait publié en 1898 une bulle papale déclarant que nous étions bien des hommes, le fait que les équipes sportives continuent à faire des Indiens leur mascotte montre la survivance d'un racisme institutionnel. » Sans doute l'ancien leader de l'American Indian Movement, décédé en 2012, apprécierait-il le mouvement qui se dessine dans le sport américain depuis deux décennies, lui qui dès 1972 avait poursuivi en justice l'équipe de baseball des Cleveland Indians pour sa mascotte grotesque qui donnait « l'impression aux Amérindiens d'être perçu tantôt comme des sauvages, tantôt comme des clowns ».
Depuis ses origines, le sport professionnel (et universitaire) américain, monstre référentiel de la pop culture US, affuble ses équipes de surnoms liés à leur environnement plus ou moins immédiat (faune locale, histoire, géographie, folklore). Les Indiens n'y échappent pas : des Cleveland Indians aux Washington Redskins en passant par les Chicago Blackhawks, les Atlanta Braves, les Golden State Warriors, les Kansas City Chiefs.
Autant de surnoms qu'une certaine prise de conscience considère, parfois près d'un siècle après leur création, comme notoirement racistes. Il est même étonnant dans certains cas que le mouvement ne fut pas plus précoce — les "Peaux-Rouges" de Washington c'est un peu comme si une équipe de foot française avait eu la riche idée de se baptiser les "Bougnoules" de Triffouillis-les-Oies. Et le mouvement enfle qui entend faire débaptiser ces mastodontes du sport US. Lequel a surtout réussi pour l'instant dans le sport universitaire.
Débaptisés
Le monde pro, lui, résiste ardemment — sans doute du fait des enjeux financiers énormes que le merchandising recouvre. L'un des arguments est pourtant que ces surnoms seraient des hommages à la culture indienne, ce qui est faux : ces appellations appartiennent à la fiction officielle qui a eu raison de cette culture, politiquement et médiatiquement, et datent pour la plupart d'une époque où la fascination caricaturale pour l'Indien — en tant que stéréotype — était plus que problématique. Au pire, elles sont insultantes (Redskins, Redmen), au mieux, réductrices (Braves, Chiefs, Indians) et donc insultantes aussi. Sans compter la bouffonnerie des mascottes qui vont avec.
Peu importe que le marketing aient vidé ces mots de leurs sens — ce qui est sans doute pire, en plus d'être de l'appropriation culturelle — car des études ont montré qu'ils ont un impact psychologique négatif sur les Amérindiens eux-mêmes. Ces logos et surnoms sont aussi bien souvent le seul vecteur de l'image des Amérindiens auquel est soumise une partie du grand public.
Mais face à l'ampleur de la levée de boucliers, les digues finissent aussi par céder chez les pros : en 2022, les Indians, qui ont eux aussi écarté leur mascotte, seront rebaptisés Guardians ; il y a deux ans, les Redskins, l'une des équipes de foot US les plus iconiques au monde et seul cas de club connu dont le nom était une insulte, se sont débaptisés (ils portent le nom provisoire de Washington... Football Team). Une victoire pour les nations indiennes que l'éradication de ce reflet d'un racisme ancien et d'une injustice historique qui s'est muée en business pour mieux cacher ses racines honteuses. De la cancel culture ? Plutôt un début de réparation d'une profonde injustice qui court jusque sur les terrains de sport.