Lyon comedy club : le stand-up assiège la ville

Humour / Cela fait un an à Lyon que chaque mois, plusieurs comedy clubs sortent de terre, ou plutôt — préférant la cave humide à la scène de théâtre — y descendent. Que se passe-t-il dans ces sous-sols sombres et bondés ? Tour d’horizon non exhaustif d’une nouvelle scène d’humoristes aux douze minutes.

Melville comedy club, Fornine, Pardav comedy club, Almar bar… En l’espace d’un an, une dizaine de nouveaux plateaux a éclos à Lyon. À l’historique Graine de Star de Sid Ali Benosmane — et sa déco léchée —, sont venus se greffer les nombreux plateaux ponctuels ou hebdomadaires, bricolés dans les bars, restaurants, et lieux de culture lyonnais transformés en comedy club.

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Parce qu’ici, à Lyon, un comedy club ne semble pas se définir par ce qu’il est, mais par ce que l’on y fait. Une étroite scène (au mieux dans une cave, sinon en fond de salle), un micro et un tabouret suffisent à ces nouveaux humoristes en herbe ou confirmés pour tester quelques minutes leurs dernières punchlines. Quinze ans après l’invention du Jamel Comedy Club, sur Canal+, et l’inauguration à Paris, du Comedy Club sur les Grands Boulevards (2008), les plateaux d’humoristes et les open mics (scènes ouvertes) se propagent dans la capitale. L’idée de Kader Aoun et de Jamel Debbouze d’emprunter au stand-up américain ses codes, pour faire germer en France une nouvelle génération d’humoristes issus de la diversité n’a, depuis, jamais cessé de fleurir. Qu’en est-il à Lyon, capitale des cafés-théâtres, qui ont joué un rôle très important dans le stand-up et le one-man et woman-show contemporain ?

Get up, stand up

Sofiene EL Mekkaoui, de son nom d’artiste Soso la barbe, humoriste lyonnais qui écume les plateaux, a lancé son propre comedy club il y a quelques mois dans la cave du Melville, un bar du Vieux-Lyon. Tous les mercredis, au Comedy Chaud — c’est son nom — s’enchaînent  trois sessions (on parle de plateaux) avec pour chacune cinq à six humoristes sélectionnés par Soso. Le première session, à 18h, est réservée aux débutants, qui font pour beaucoup leur première scène sur cet open mic. Plus tard, on retrouve des artistes bien installés de la scène lyonnaise : Yacine Rharbaoui, Mareva, Malik Mike, Ugo Strebel, mais aussi des invités d’autres contrées (Marseillais, Parisiens, tête de…). L’entrée est gratuite, à condition de consommer au bar, et la sortie se fait au chapeau.

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Constuire un spectacle

Les pratiques du one-man et woman-show et du stand-up n’ont pas tout à fait les mêmes visées. Sofiene nous explique : « quand on est humoriste professionnel, dans les deux cas, le but, c’est quand même de construire un spectacle. Le stand-up que l’on fait à Lyon — enchainer des plateaux de quelques minutes — c’est un passage obligé. Au début, on construit cinq minutes, puis dix, puis trente, puis on monte un spectacle. Pour moi, la principale différence entre le one-man et le stand-up, c’est que dans le stand-up, tu racontes ta vie, des anecdotes, tu brises le quatrième mur… C’est toi et ton micro. Sans artifice, sans musique, sans scénographie, ni personnage. Le one-man comporte beaucoup de sketchs, de personnages. À l’image de Gad Elmaleh, et son spectacle La Vie normale, joué pour la première fois en 2000. Là, il y a lui, puis il y a sa panoplie de personnages, avec Chouchou, Coco… Puis en 2005, pour la première fois, Gad va se mettre en scène dans un stand-up, avec L’autre c’est moi, délaissant les personnages au profit de son histoire. »

Aux origines : les cafés théâtres lyonnais

Et puis, il y a les lieux, dans lesquels ces artistes se produisent. Le café-théâtre lyonnais est indissociable de l’histoire récente des comedy clubs de la ville. Le terme de café-théâtre serait apparu le 22 février 1966 à Paris, au Royal. Pour la première fois, on jouait dans un vrai café qui affirmait ouvertement son appellation de café-théâtre. Les consommations ne coûtaient pas plus cher, et des artistes — chanteurs, comédiens, poètes… payés au chapeau — s’y produisaient, créant de nouvelles règles du jeu qui s’affranchissaient du théâtre contemporain.

Plus qu’une implantation dans un lieu, le café-théâtre était une façon d’envisager une nouvelle forme d’activité théâtre se caractérisant par une proximité des artistes avec le public. Depuis, ce mouvement s’est répandu au point que les cafés-théâtres font partie intégrante de la scène culturelle française, orientant au fil du temps  leurs programmations vers l’humour et le stand-up. Souvent impudents et provocateurs, les artistes se distinguent par une profonde liberté artistique et parlent des questions d’actualité. Une liberté artistique dont témoignait en 1970 l'un des huit membres de la troupe du Café de la Gare, Romain Bouteille. À Lyon, l’histoire commença en 1977 avec Philippe Clément et Gilbert Landrin. Ils créent alors respectivement La Graine, (actuelle Mi Graine), puis l’Espace Gerson en 1987.

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Plus tard, les Taupes Modèles et Florence Foresti, ou encore Stéphane Guillon, commenceront leur carrière sur ces planches. Anne Roumanoff et Gad Elmaleh viendront toujours roder leurs spectacles, tout comme l’excellent Aymeric Lompret ce mois-ci, et la grande Shirley Souagnon récemment.

Du bar au comedy club

Aujourd’hui, Lyon n’a jamais compté autant de jeunes, issus de toutes origines et de toutes catégories sociales, aspirants à percer dans le stand-up. Avant de jouer leurs spectacles dans les cafés-théâtres comme L’Espace Gerson, le Complexe du Rire, L’Accessoire, le Rideau Rouge, Le Nombril du Monde, ces artistes écument les petits plateaux. Il y a les comedy clubs identifiés, comme l’historique Graine de Star, puis il y a ceux d’un soir, qui prennent place dans un café, transforment une fois par semaine un restaurant, aménagent la cave d’un bar, ou de temps en temps, s’installent dans des théâtres. Comme le Comedie Chaud, tous les mercredis au Melville et deux fois par mois à Uni, mais aussi au plateau du Food Society : le Pardav comedy club, au plateau de l’Alma bar à Garibaldi, au Fornine comédie au Toï Toï, au Blue comedy de Rman à la Grooverie, ou au Joy comedy de Malik Mike au Fût et à Mesure.

De plus en plus de plateaux inclusifs ou en non mixité font aussi leur apparition, à l’image de la Stand-up Schnek-up de Eve TGA au Rita-Plage. Tous ces plateaux sont aussi une bonne façon pour les bars de remplir leurs salles en semaine, de manière ponctuelle, à l’image du plateau mensuel d’Ugo Strebel au Dikkenek de la Croix-Rousse, du Sloubi comedy aux Arpenteurs, ou du Cosy comedy de Yacine Rharbaoui au Patchwork café.

Le zapping du rire

Il y a quarante ans, l’humour en France était divisé en deux catégories : les humoristes qui s’inspiraient de la politique — Guy Bedos ou Thierry Le Luron — et ceux issus des cafés-théâtres qui jouaient de petites scènettes, à l’image de Michel Boujenah ou de Jacqueline Maillan. Et il y avaient les ovnis : Raymond Devos le poète, Pierre Desproges le cynique, Coluche, le clown. Puis, Internet nous a fait découvrir les comedy clubs à l’américaine, avec les Eddie Murphy et Jim Carrey. L’art d’écrire des blagues sur la société et le quotidien se popularisa. Aujourd’hui, l’écriture d’un spectacle d’une heure n’est plus un passage obligé, l’engouement du public pour une sorte de zapping du rire semble plaire davantage. À l’image du monde de la musique — écouter un album en entier est devenu marginal, et a laissé la place aux playlists — le mode de consommation du stand-up a changé.

« Avant, il n’y avait pas beaucoup de stand-up, donc on regardait des spectacles » explique Sofiene. « Actuellement, la durée de vie d’un spectacle c’est deux ans, contrairement aux spectacles qui tournaient cinq ou dix ans avant. Les comedy clubs, la télé, Instagram… Ça a modifié notre façon de consommer. À Lyon, par rapport à Paris, on a le luxe de pouvoir jouer des huit, quinze minutes, tu te rends compte, c’est rien. À Paris, on joue trois minutes, ça enchaîne. Mais ce n’est pas le même métier d’être humoriste sur les réseaux et d’être sur les planches, même si ça peut être complémentaire. Pour faire un spectacle, il faut bouffer de la scène. Les abonnés qui me suivent sur les réseaux — je n’en ai pas un million —, ce sont des gens qui m’ont vu sur scène, sur des quinze, vingt minutes. Il n’y a rien de plus gratifiant que de recevoir des messages de gens qui ont vu ma progression. »


L’importance de l’intermittence et du GIP cafés-cultures

La rémunération au chapeau est intrinsèquement liée au stand-up. Si cette forme de salaire est inévitable dans le spectacle vivant, elle ne doit pas prendre le pas sur une réelle rémunération — et donc une reconnaissance — des artistes. Les salles, mais aussi le public, et les artistes eux-mêmes, ont un rôle à jouer. « Certains font de la scène par passion, ont un job à côté. Ils ne cherchent pas l’intermittence, et se contentent des chapeaux » reconnait Sofiene.

« Quand c’est notre profession, c’est différent, on ne peux vivre des chapeaux. Cela passe aussi par une prise de conscience des artistes : ce qu’ils font, c’est un travail, qui doit être rémunéré. Quand on débute, on a envie de bouffer de la scène, et on a tendance à tout accepter, c’est normal. Mais ça n’empêche pas d’avoir des conditions décentes de travail et un respect des artistes de la part des salles, du public, des artistes entre eux. Le problème, c’est que le stand-up est un milieu exempt de toute subvention, le but est de faire reconnaitre cette scène comme un vrai pan de la culture lyonnaise. »

À Lyon, il existe le GIP Cafés cultures, un fonds d'aide abondé par les collectivités territoriales et le Ministère de la Culture, encore trop méconnu. Ce dispositif permet à toute structure de moins de 200 places et n’ayant pas pour activité principale le spectacle et souhaitant embaucher des artistes, d'avoir un cadre légal et un soutien financier (remboursement jusqu’à 65% de la masse salariale) pour les rémunérer. Il permet d'affirmer le rôle du bar en tant que lieu de diffusion artistique, et développe l'emploi des artistes. La Ville de Lyon a intégré le dispositif en mars 2021 à hauteur de 50 000€ par an. Les structures peuvent faire leurs demandes en ligne, tant que l’enveloppe est encore garnie. Si les critères sont remplis, le Gip Cafés Cultures verse l'aide en quelques jours.


Quelques noms à ne pas louper à Lyon en février et mars

Morgane Berling à la Girafe qui se Peigne le 17 mars
Soso la barbe pour ses plateaux du Comédie Chaud
Mareva, sur plusieurs plateaux lyonnais
Yacine Rharbaoui pour le Cosy Comedy au LB et au Patchwork
Farouk tous les lundis au Lulu
Lucas Hueso sur plusieurs plateaux lyonnais
Mathieu Rochet dans A Tribe called sketch comedy club
Julien Ville sur plusieurs plateaux lyonnais
Remy Sojah tous lundis au Big White
Momar Seck régulièrement au Patchwork
Rman Meva les mercredis à la Grooverie
Eve TGA au Rita Plage et à l’Alma bar
Ugo Strebel au Dikkenek
Chloé Drouet sur plusieurs plateaux lyonnais
Fahad Madi dans A Tribe called sketch comedy club
Fanfan le dimanche au Bouiboui
Malik Mike le samedi au Fût et à Mesure
Nina Delacourt sur plusieurs plateaux lyonnais
Kacem Delafontaine réguliérement à la Fornine comedie

 

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