Art moderne / Hommage au Salon parisien des peintres témoins de leur temps, qui eut lieu de 1951 à 1982, l'exposition du Musée Jean Couty présente, pêle-mêle, une quarantaine d'artistes qui y participèrent. L'accrochage brouillon recèle de belles surprises.
L'idée d'un « Salon des peintres témoins de leur temps » à Paris fut lancée après-guerre par le peintre Isis Kischka (1908-1973), qui avait survécu aux camps de concentration de Drancy et de Compiègne. Face à l'horreur de la Seconde Guerre mondiale, seule devait faire face, selon lui, une peinture figurative et humaniste, quand beaucoup d'autres artistes souhaitaient "repartir à zéro" en choisissant des voies plus abstraites. Rapprocher l'art de la vie sociale de son époque fut ainsi la philosophie du Salon. La première édition portant sur le thème du travail, en 1951, rassemblait déjà quelques têtes d'affiche (comme Matisse, Chagall, Rouault...) aux côtés de plus jeunes artistes. Le catalogue de la seconde édition en 1953, sur le thème du dimanche, est accompagné d'un texte de Jean-Paul Sartre. Puis, chaque année, jusqu'en 1982, au Musée d'Art moderne puis au Musée Galliera, les éditions se succèdent sur des thèmes divers : « l'homme dans la ville », « la vie paysanne », « réhabilitation du portrait »...
Ne tenir qu'à un fil
À travers les œuvres (peintures et dessins surtout) d'une quarantaine d'artistes ayant participé au Salon des peintres témoins de leur temps, mais aussi des affiches et des archives, le Musée Couty retrace cette aventure artistique de la seconde moitié du XXe siècle. Le parcours thématique (paysages, natures modernes, portraits...) est un peu erratique avec des rapprochements pas toujours heureux entre les tableaux, une sélection qui aurait demandé à être resserrée quant à sa qualité, des toiles accrochées légèrement de biais... Parmi ce patchwork décousu, on découvre, néanmoins, quelques pépites et petits chefs d'œuvre. Des dessins de Matisse, par exemple, qui semblent ne tenir qu'à un fil, comme autant d'existences suspendues au-dessus du vide. Une petite toile de Kees Van Dongen aux tons osés montrant un groupe de femmes à la cour d'Espagne. Une superbe estampe de Georges Braque représentant un pichet et un oiseau dans des ton ocres et sombres. Un étonnant paysage bleu, jaune et rose de Jacques Villon datant de 1942... Ces œuvres ont parfois un rapport très indirect avec le Salon, car elles n'y ont pas toujours été exposées et datent même quelquefois de périodes bien antérieures ou postérieures.
Parmi les "outsiders" de l'époque, on découvre au Musée Couty une grande toile de Bernard Buffet (deux femmes déshabillées assises) qui, paradoxalement, claque par son érotisme grisâtre et morne ! Beaucoup de peintres lyonnais ont participé au Salon et sont présents ici avec des toiles intéressantes comme certains paysages urbains de Jean Couty, une Salle Rameau et son club de billard comme trempée dans l'absinthe par Jean Fusaro au début des année 2000, ou le petit chef-d'œuvre d'André Cottavoz, La Promenade sur la Croisette (voir notre encadré) datant de 1971...
« De Matisse à Chagall. Les peintres témoins de leur temps »
Au Musée Jean Couty (Lyon 9e), jusqu'au 28 janvier 2024
André Cottavoz, Promenade sur la Croisette, 1971
Parmi des empâtements de peintures, plusieurs silhouettes humaines à l'aura tremblante sont rendues à leur mince existence de couleurs et de lumières. Elles semblent se fondre dans le bleu de la mer ou le blanc de la balustrade. Leurs visages écrasés de matière rose n'ont plus de traits, certaines têtes semblent même comme soufflées par le vent, l'eau, le soleil... Ce tableau – d'une puissance exceptionnelle ! – est signé du peintre lyonnais André Cottavoz (1922-2012). Passé maître de l'empâtement, Cottavoz fut membre du groupe lyonnais Sanzisme (le Sanzisme refusait les "ismes" de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du cubisme, etc.), puis de l'Ecole de Paris. Les « Sanzistes » défendaient notamment l'idée d'une lumière provenant de l'intérieur même de la toile. Dans cette Promenade sur la Croisette, la lumière brûle de tous ses feux, jusqu'à tordre de chaleur et de mouvement les corps qui s'étiolent parmi les éléments. On pense, ici, à un autre grand peintre de la limite, toujours plus indistincte, entre figure et matière, Eugène Leroy (1910-2000). « Lorsque je peins un paysage, écrit André Cottavoz, j'essaie que le ciel soit aérien, que la terre soit lourde, que la mer bouge. C'est en cela que je ne suis pas figuratif. J'essaie d'être réel le plus possible. »