Yamina Benahmed Daho : À la source de Fontayne

Yamina Benahmed Daho

Librairie Passages

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Littérature / L’autrice adresse une lettre d’amour à ses parents absents entre une Algérie tue et une France pavillonnaire et prolétaire vendéenne. Avec une capacité admirable à nouer les récits de chacun et leurs différentes temporalités, elle dresse aussi un portrait de son pays.  

Il y a eu des parents avec leur bébé mort-né et la façon dont cela a contaminé sourdement la vie de la famille. C’était dans De mémoire en 2019 dont le sujet était pourtant autre chose : une agression sexuelle. Puis il y a eu la mère et sa machine à coudre Singer rapportée avec elle lors du seul retour qu’elle fera dans son Algérie natale après avoir rejoint son mari en France post-colonisation. C’était dans À la machine, paru deux ans plus tard, consacré à la vie de Barthélemy Thimonnier, ce rhodanien inventeur de la machine à coudre au XIXe siècle mais dépossédé de sa trouvaille avant de mourir miséreux. Il y avait là des bribes de La Source des fantômes, nouveau roman accéré de la Villeurbannaise Yamina Benahmed Daho, dont on pressent qu’il y aura d’autres épisodes tant le déploiement de son écriture nous évoque celui de la lauréate du dernier Prix Goncourt, Brigitte Giraud. Elles se ressemblent dans la sécheresse de leur écriture, leur concision aussi (leurs ouvrages sont courts mais ont tant à dire), l’angle politique absolument intransigeant par lequel elles (a)bordent leur sujet et donc aussi les sujets qui les rapprochent d’un même pays qu’elles ont foulé un peu ou pas du tout – une génération les séparent. L’une dit « je », l’autre aussi et la fiction est au rendez-vous.

Urgence de la guerre

La Sources des fantômes se dit "Aïn Tolba" en arabe, précisément le nom du village originel, celui que le père de la narratrice, va quitter seul, sans que l’armée française, pour laquelle il a combattu contre ses compatriotes, ne s’en soucie. Il va arriver en Vendée, à La-Roche-sur-Yon puis à Fontayne, dans cette nation dont il ne connait « ni la langue ni la géographie, ne sachant même pas lire le nom des villes qui s’affichent dans les halls de gare ou sur les pancartes d’autoroute ». En contractant un crédit, il va s’installer dans un lotissement mais son patronyme n’aura jamais la même sonorité que celui de ses voisins aimables, chaleureux même, mais qui ne savent pas éviter cette question commençant par « est-ce que chez vous… ? » à des enfants nés ici, ne sachant rien de là-bas puisque l’exil consiste en un « effacement » comme l’écrit Yamina Benahmed Daho. L’intégration aussi qui se fait par les gestes plutôt que lors de grandes discussion.

Les parents de la narratrice (ceux de l’autrice auxquel elle dédie le livre ?) ne disent pas grand-chose : elle observe plutôt leur comportements, la « force » du baiser d’une mère raptée par un cancer qui s’échappe en deux pages coupantes, le « courage », « l’abnégation » du père au moment de quitter un village en ruine à l’aube de l’âge adulte. Le regard qu’elle leur porte apparait comme une consolation face au sort que leur a réservé l’Etat français. Sans qu’il ne soit fustigé, elle le regarde en face cet État : les harkis n’ont jamais pu aller passer des vacances au bled, ce n’était pas possible. Tout comme elle sait nommer les choses sans tergiverser. Une grève au long cours de travailleurs pour sauver leur usine non pas de la « faillite » mais des « licenciements économiques pour accroitre les dividendes versés aux actionnaires », c’est une « lutte ouvrière » ; le "gagnant" quotidien du Juste prix ou La Roue de la fortune qui tournent dans tous les foyers est plutôt « l’élu du capital qui [l’] exploite » quand il peut se gaver dans la vitrine de cadeaux ; les services dont bénéficie sa mère à l’hôpital sont « rudimentaires, le personnel et l’argent public manquent, les urgences ferment de 17h à 8h ».

Top 50

Sans que cela ne vire au réquisitoire, l’autrice se positionne. Le cadre de « Tonton » a longtemps trôné dans le salon de son enfance jusqu’à ce qu’il s’écroule, « définitivement », avec le socialisme, en 2002. Il n’y a bien que Jablonka avec Goldman pour le chérir encore. Mais plus encore, dans ce monde âpre traversé avec une humilité totale par ces « gens », elle dessine aussi une carte du tendre dans lequel les mots sont centraux. Les mots qu’elle écrit bien sûr mais aussi ceux qu’elle, en tant que prof de français dans une ville où une usine a vu 110 postes supprimés sur 235, elle a enseigné, ceux des enfants rieurs qui mettent des « FE » partout et déforment les phrases, ceux que sa mère dit en mêlant trois langues ou qu’elle invente – « quitte-toi » pour dire avec un agacement teinté de douceur à ses enfants pour qu’ils s’écartent un peu de ses jupes. Et puis les mots qu’on chante dans ce qui est la plus émouvante scène de ce roman : celle du père qui ne parvient à dire ses fantômes qu’en se mettant à chanter, sa fille à ses côtés.

Yamina Benahmed Daho, La Source des fantômes, 134 p, ed. Gallimard, coll. L’Arbalète.

Rencontre au Musée des Confluences le 11 septembre, à la librairie Passage le 14 septembre et à la librairie Descours le 24 septembre

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